Nous guettons d'éventuelles instructions, peut-être une annonce de Claudius Templesmith. Une invitation à un banquet. La seule chose notable se produit au loin : un éclair aveuglant frappe un grand arbre, bientôt suivi d'un violent orage. Peut-être que la cloche est un signe annonciateur de pluie, source d'eau bienvenue pour ceux qui n'ont pas un mentor aussi débrouillard qu'Haymitch.

         Va dormir, Finnick. À mon tour de monter la garde.                                                         Finnick hésite, mais personne ne peut rester éveiller indéfiniment. II s'étend à l'entrée de la hutte, la main crispée sur son trident, puis s'endort d'un sommeil agité. Je m'assieds, l'arc prêt, et je scrute la jungle qui prend des teintes fantomatiques dans la clarté lunaire. Au boni d'une heure environ, l'orage se calme. La pluie se met enfin à tomber. Je l'entends crépiter sur les feuilles à quelques centaines de mètres. Elle ne s'approche pas.

Un coup de canon me fait sursauter, sans toutefois réveiller mes compagnons. Inutile de les tirer du sommeil pour si peu. Un autre vainqueur est mort. Je ne veux même pas savoir lequel.

La pluie s'interrompt abruptement, comme l'année dernière dans l'arène.

Quelques instants plus tard, je vois un brouillard glisser vers moi. « Simple réaction naturelle. Une pluie froide sur un sol chaud », me dis-je. Il se rapproche tranquillement, en allongeant des filaments qui s'enroulent comme des doigts, comme s'ils tiraient le reste à leur suite. Je sens les poils se dresser sur ma nuque. Ce brouillard a quelque chose d'étrange. Sa progression est trop uniforme pour être naturelle. Et s'il n'est pas naturel...

Une odeur douceâtre parvient à mes narines. Je secoue aussitôt les autres en leur criant de se réveiller.

Quelques secondes me suffisent pour réaliser que je suis en train de me couvrir de cloques.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

21

 

 

 

De minuscules cloques brûlantes. Sur chaque point de ma peau touché par une gouttelette de brume.                                                                                                                       — Debout ! Courez !                                                                                                                             Finnick bondit aussitôt sur ses pieds, prêt à riposter à toute attaque. En apercevant le mur de brouillard, il jette sur son dos une Mags encore ensommeillée et s'éloigne à grands pas. Peeta se lève lui aussi, mais il est moins alerte. Je l'empoigne par le bras et le pousse à travers la jungle à la suite de Finnick.

       Quoi ? Que se passe-t-il ? proteste-t-il, éberlué.

       Une espèce de brouillard. Un gaz empoisonné. Allez, Peeta !

Il a eu beau prétendre le contraire dans la journée, on voit qu'il n'est toujours pas remis de son choc contre le champ de force. Il est lent, beaucoup plus lent que d'habitude. Et le fouillis de lianes et de racines, sur lequel j'ai parfois du mal à garder l'équilibre, le fait trébucher à chaque pas.                                                                                                                                Je jette un regard en arrière au mur de brouillard qui s'étend en ligne droite dans les deux directions. Une terrible envie de fuir, d'abandonner Peeta et de sauver ma vie me traverse l'esprit. Ce serait si simple, de prendre mes jambes à mon cou, ou de grimer dans un arbre au-dessus du brouillard, qui semble stagner à une douzaine de mètres du sol. C'est exactement ce que j'ai fait dans les derniers Jeux lors de l'apparition des mutations génétiques. J'ai couru comme une dératée et ne me suis préoccupée de Peeta qu'une fois parvenue à la Corne d'abondance. Cette fois-ci pourtant, je domine ma terreur, la ravale et reste avec lui. Cette fois-ci, ce n'est plus ma survie qui importe, mais celle de Peeta. Je songe à tous ces gens vissés devant leur écran dans les districts, en train de se demander si je vais fuir, comme le voudrait le Capitole, ou me battre jusqu'au bout.                          Je glisse mes doigts dans les siens et dis à Peeta :                                                                 — Regarde mes pieds. Essaie de marcher dans mes pas.                                                                               Ça facilite les choses. Nous progressons un peu plus vite, quoique pas suffisamment pour nous offrir une pause, et la brume continue de nous talonner. Des gouttelettes en jaillissent. Elles brûlent, mais pas comme du feu. On éprouve plutôt une sensation de chaleur, puis de douleur intense quand le produit chimique se dépose sur la peau, s'y colle et traverse l'épiderme. Nos combinaisons ne nous sont d'aucune aide. Pour la protection qu'elles nous apportent, nous pourrions aussi bien être habillés de papier de soie.                                                       Finnick, qui avait pris une certaine avance, s'arrête en réalisant que nous avons des problèmes. Malheureusement, on ne peut pas affronter un danger pareil, juste le fuir. Il nous crie des encouragements, s'efforce de nous faire avancer plus vite ; nous tâchons de nous orienter au son de sa voix.                                                                                                          La jambe artificielle de Peeta se prend dans des racines et il s'étale de tout son long avant que je puisse le rattraper. En l'aidant à se relever, je me rends compte qu'il y a plus inquiétant que les cloques, plus grave que les brûlures. Ie côté gauche de son visage est entièrement relâché, comme si les muscles avaient fondu. Sa paupière tombe presque au point de lui masquer l'œil. Sa bouche pend bizarrement.                                                                   —        Peeta..., dis-je.                                                                                                                                  Je m'interromps en sentant les premiers spasmes me remonter dans le bras.                                                                                                   Le produit chimique contenu dans le brouillard ne fait pas que brûler : il attaque directement le système nerveux. Une peur nouvelle m'assaille et je tire Peeta en avant, trop fort, ce qui le fait trébucher de nouveau. Le temps que je parvienne à le remettre sur ses pieds, mes deux bras sont saisis de tremblements incontrôlables. Le brouillard est pratiquement sur nous, à moins d'un mètre. Les jambes de Peeta lui obéissent mal ; il ne se déplace plus que par saccades, à la façon d'un automate.

Je le sens accélérer et je réalise que Finnick est revenu sur ses pas pour le soutenir. Je cale mon épaule, encore assez stable, sous le bras de Peeta et je fais de mon mieux pour régler mon allure sur celle de Finnick. Nous avons gagné une dizaine de mètres sur le brouillard quand Finnick s'arrête.                                                                                                           —        Ça ne sert à rien. Je vais devoir le porter. Peux-tu prendre Mags ? me demande-t-il.                                                                                                                                                            —        Oui, je réponds avec assurance.                                                                                                                                   Mon cœur se serre, pourtant. S'il est vrai que Mags doit peser moins de trente-cinq kilos, je suis loin d'être robuste. Enfin, je suis sûre qu'il m'est arrivé de porter des charges plus lourdes. Je m'accroupis et elle se couche en travers de mon épaule, comme elle le faisait avec Finnick. Je me redresse lentement et constate qu'en bloquant les genoux je réussis à la transporter. Finnick a jeté Peeta sur son dos et nous repartons de plus belle, les garçons en tête, moi dans la piste qu'ils m'ouvrent à travers les lianes.                                                                                         Le brouillard poursuit son avance, inexorable, silencieux, plat comme un mur à l'exception des filaments qui s'en détachent. Alors que mon instinct me pousserait plutôt à m'en éloigner en ligne droite, je réalise que Finnick descend la colline en diagonale. Il essaie de garder le gaz à distance tout en nous entraînant vers les eaux qui bordent la Corne d'abondance. « Oui, de l'eau », me dis-je en grimaçant sous la morsure des gouttelettes d'acide. Je suis bien contente de ne pas avoir tué Finnick, car comment aurais-je sorti Peeta de ce mauvais pas sans lui ? Oui, je suis heureuse d'avoir quelqu'un de mon côté, même si ce n'est que temporaire.                                                                                                                            Je commence à faiblir. Bien que Mags fasse de son mieux pour alléger mon fardeau, le fait est qu'elle est trop lourde pour moi. Surtout que ma jambe droite se raidit. Les deux premières fois que je perds l'équilibre, je parviens à me relever, mais, après la troisième chute, ma jambe refuse de coopérer. Alors que je tente de me redresser malgré tout, elle se dérobe sous moi et Mags roule sur le sol. Je tâtonne autour de moi, cherchant désespérément une liane, un tronc sur lequel prendre appui.                                                      Finnick revient vers moi, Peeta toujours sur son dos.                                                                                                      —        Je n'y arrive plus, dis-je. Tu peux les prendre tous les deux ? Partez devant, je vous rejoindrai.                                                                                                                                                                                       Je m'avance sans doute un peu avec cette proposition. Je la fais néanmoins avec toute l'assurance que je parviens à rassembler.Je vois les yeux de Finnick, d'un beau vert dans la clarté lunaire. Je les vois comme en plein jour. On dirait des yeux de chat qui reflètent la lumière. Peut-être parce qu'ils sont brillants de larmes.                                                                     —        Non, répond-il. Je ne peux pas les prendre tous les deux. Mes bras ne fonctionnent plus. (C'est vrai : ils tressaillent le long de ses flancs. Il a les mains vides. Sur trois tridents, il ne lui en reste plus qu'un et c'est Peeta qui le tient.)                                                                                   —            Je regrette, Mags. Je ne peux vraiment pas.                                                                                  La suite est si rapide, si absurde, que je n'ai même pas le temps d'esquisser un geste. Mags se lève, plante un baiser sur les lèvres de Finnick et, clopin-clopant, s'enfonce droit dans le brouillard. Son corps est aussitôt saisi de contorsions brutales et elle s'écroule au sol, en une gesticulation horrible.                                                                                                                              Je voudrais hurler, mais j'ai la gorge en feu. J'esquisse un pas vers elle quand un coup de canon m'apprend que son cœur a cessé de battre.                                                                                            — Finnick ? Dis-je d'une voix rauque.                                                                                                            Mais il s'est déjà détourné de la scène, a déjà repris sa fuite devant le brouillard. Je le suis en trébuchant, traînant ma jambe inerte derrière moi. Que faire d'autre ?

Le temps et l'espace perdent toute signification tandis que le brouillard semble envahir mon cerveau, m'embrouiller les idées, rendre tout irréel autour de moi. Un désir de survie profondément enraciné me pousse à tituber derrière Finnick et Peeta, à continuer à avancer coûte que coûte, bien que je sois sans doute déjà morte. Des parties de moi sont mortes, ou agonisantes. Et Mags n'est plus. C'est une chose que je sais - ou simplement que je crois savoir, car ça n'a aucun sens.                                                                                                         Les rayons de lune scintillent dans les cheveux de bronze de Finnick, des perles de souffrance me brûlent la peau, ma jambe est dure comme du bois. Je vois Finnick s'écrouler devant moi, avec Peeta sur le dos. Incapable de m'arrêter, je continue jusqu'à ce que je m'affale sur eux. « Voilà où et comment nous allons tous mourir », me dis-je. Mais l'idée reste abstraite, beaucoup moins alarmante que les douleurs auxquelles je suis en proie. J'entends Finnick gémir, et je parviens à rouler à côté des garçons. Je vois désormais le mur de brouillard, qui a pris une coloration d'un blanc nacré. Ma vision me joue-t-elle des tours, à moins que ce soit la lune ? On dirait qu'il se transforme. Oui, il devient plus épais, comme s'il se condensait contre une plaque de verre. En plissant les yeux, je réalise que les filaments qui s'en échappaient ont disparu. En fait, il a complètement cessé de bouger. Comme d'autres horreurs dont j'ai été le témoin dans l'arène, il doit être parvenu à la limite de son territoire. Ou alors, les Juges ont décidé de ne pas nous tuer tout de suite.                                                                                                               —        Ça s'est arrêté, dis-je, mais seul un croassement affreux s'échappe de ma bouche boursouflée. Le brouillard s'est arrêté.                                                                                                                                                  J'ai dû être plus audible la deuxième fois, car Peeta et Finnick tournent tous les deux la tête vers le mur blanc. Il commence à s'élever, à présent, comme s'il était peu à peu aspiré dans le ciel. Je le regarde se dissiper jusqu'à ce qu'il n'en reste plus un seul lambeau. Peeta tombe à côté de Finnick, qui se retourne sur le dos. Nous restons là, hors d'haleine, à trembler, l'esprit et le corps1 envahis par le poison. Au bout de plusieurs minutes, Peeta fait un geste vague vers le haut.                                                                                                        —     'es 'inges.                                                                                                                                                       Je lève les yeux et j'aperçois un couple de singes. C'est la première fois que j'en vois en vrai - on n'en trouve pas dans les forêts de mon district. J'ai dû en voir en images, ou à la télé dans une autre édition des Jeux, parce que leur nom me vient aussitôt à l'esprit. Je crois qu'ils ont un pelage orange, même si c'est difficile à dire, et environ la moitié de la taille d'un homme adulte. Leur présence me paraît un bon signe. Ils ne traîneraient sûrement pas dans les parages si l'air était mortel. Pendant un moment, nous nous observons en silence, les humains face aux singes. Puis Peeta se met à genoux et commence à descendre la pente en rampant. Nous rampons tous ; marcher nous semble à présent un exploit aussi impossible que voler. Nous progressons vers l'endroit où les plantes grimpantes cèdent la place à une mince bande de plage sablonneuse, jusqu'à ce que les eaux tièdes qui bordent la Corne d'abondance nous lapent le visage. Je recule comme si j'avais touché une flamme.                                                                                                          « Frotter du sel sur les plaies. » Pour la première fois je goûte toute la saveur de l'expression, car l'eau salée rend la douleur si vive que je manque m'évanouir. Pourtant, j'éprouve également une autre sensation, comme si j'étais à distance. J'enfonce prudemment ma main dans l'eau. C'est une torture, oui, mais qui se dissipe. À travers l'eau bleue, je vois une substance laiteuse sourdre de mes plaies. Et à mesure que la blancheur s'estompe, la douleur s'amenuise. Je déboucle ma ceinture et me débarrasse de ma combinaison, réduite en lambeaux. Mes chaussures et mes sous-vêtements sont, de manière inexplicable, intacts. Peu à peu, j'évacue ainsi le poison de mon organisme. Peeta m'imite. Finnick, lui, s'écarte de l'eau au premier contact et reste allongé le visage dans le sable, incapable de se purger.

Enfin, après avoir survécu au pire, ouvert les yeux sous l'eau, reniflé de l'eau pour me nettoyer les sinus et m'être gargarisée à plusieurs reprises pour me laver la gorge, je récupère suffisamment de vigueur pour aider Finnick. J'ai retrouvé des sensations dans ma jambe, même si mes bras sont encore parcourus de spasmes. Je n'ai pas la force de le traîner dans l'eau, et la douleur risquerait de le tuer de toute manière ; je recueille de l'eau au creux de mes mains et la verse sur ses poings. Comme il n'est pas sous l'eau, le poison sort de lui comme il est entré, par filaments de brume que je prends grand soin de ne pas toucher. Peeta est maintenant en mesure de m'aider. Il découpe la combinaison de Finnick, grâce à deux coquillages qu'il a trouvés non loin. Nous arrosons tout d'abord ses bras, gravement atteints, et bien qu'une grande quantité de brume blanche s'en dégage, il ne semble rien remarquer. Il reste allongé là, les yeux clos, en gémissant de temps en temps.

Je jette des regards inquiets autour de nous, consciente de notre situation précaire. Il fait nuit, d'accord, mais la lune brille trop ce soir pour que nous espérions passer inaperçus. Nous avons de la chance que personne ne nous soit encore tombé dessus. Nous les verrions arriver de la Corne d'abondance, mais si les quatre carrières nous attaquaient maintenant, ils nous élimineraient sans mal. Et s'ils ne nous ont pas encore repérés, les gémissements de Finnick ne tarderont pas à nous trahir.

— Il faut le tirer dans l'eau, dis-je dans un souffle.

Mais il n'est pas question de l'immerger tête la première, pas dans cet état. Peeta désigne du menton les pieds de Finnick. Nous en attrapons chacun un, le faisons pivoter de cent quatre-vingts degrés, et le traînons progressivement dans l'eau salée. Juste quelques centimètres à la fois. Deux minutes plus tard, nous immergeons ses mollets. Puis ses genoux. Des lambeaux blancs sortent de sa chair en lui arrachant des gémissements. Nous continuons à le désintoxiquer ainsi, par étapes. Je m'aperçois que plus je reste assise dans l'eau, mieux je me sens. Pas seulement au niveau de la peau, je récupère aussi le contrôle de mes muscles et de mon cerveau. Je vois le visage de Peeta revenir peu à peu à la normale, sa paupière s'ouvrir, sa bouche perdu son rictus. Finnick se remet lentement. Ses yeux s'ouvrent, se posent sur nous et montrent qu'il a conscience de nos efforts. Je cale sa tête sur mes genoux et nous le laissons tremper ainsi une dizaine de minutes, avec de l'eau jusqu'au cou. Peeta et moi échangeons un sourire en le voyant agiter les bras.

       Il ne reste plus que ta tête, Finnick. Ce n'est pas le plus agréable, mais tu te sentiras beaucoup mieux après, lui promet Peeta.

Nous l'aidons à s'asseoir et le tenons par la main pendant qu'il se purge les yeux, le nez et la bouche. Il a encore la gorge trop douloureuse pour parler.

      Je vais aller mettre un arbre en perce, dis-je.

Je ramasse ma ceinture et le bec qui y est toujours accroché.

       Laisse-moi d'abord creuser le trou, dit Peeta. Reste avec lui pendant ce temps. C'est toi la guérisseuse.

« Quelle blague », me dis-je en moi-même. Pas à voix haute, car Finnick n'a vraiment pas besoin de ça. C'est lui qui a le plus souffert du brouillard, bien que j'ignore pourquoi. Peut-être parce qu'il est le plus costaud, ou qu'il a fourni le plus d'efforts. Et puis, il y a Mags. Je ne comprends toujours pas ce qui s'est passé. Pourquoi il l'a abandonnée ainsi pour sauver Peeta. Pourquoi non seulement elle n'a pas cherché à discuter une seconde, mais elle s'est sacrifiée sans la moindre hésitation. Est-ce parce qu'elle était vieille, parce que ses jours étaient comptés de toute manière ? A-t-elle pensé que Finnick aurait une meilleure chance de l'emporter avec Peeta et moi comme alliés ? À en juger par l'expression hagarde de Finnick, le moment paraît mal choisi pour lui poser la question.

Je préfère donc m'occuper un peu de moi. Je récupère ma broche sur les lambeaux de ma combinaison et l'épingle à la bretelle de mon maillot. Ma ceinture-bouée doit être résistante à l'acide, car elle a l'air comme neuve. Sachant nager, je n'en ai pas vraiment besoin, mais j'ai vu Brutus arrêter l'une de mes flèches avec la sienne. Alors je la reboucle, en me disant qu'elle peut m'offrir une certaine protection. Je dénoue mes cheveux, que je peigne avec les doigts. Sérieusement touchés par les gouttelettes d'acide, ils s'arrachent par poignées. Je rassemble ce qui m'en reste dans une natte. Peeta a trouvé un bon arbre à une dizaine de mètres de la plage. Nous le distinguons à peine, mais le bruit de son couteau contre l'écorce nous parvient clair comme du cristal. Je me demande où est passé le poinçon. Mags a dû le lâcher, à moins qu'elle ne l'ait emporté dans le brouillard avec elle. Quoi qu'il en soit, nous ne l'avons plus.                                                                                              Je m'éloigne un peu de la plage, en me laissant flotter tour à tour sur le ventre et sur le dos. Si l'eau de mer nous a fait du bien, à Peeta et moi, elle semble littéralement transformer Finnick. Il commence par bouger lentement, pour se dérouiller les membres, puis se met à nager. Sa manière de nager est très différente de la mienne, faite de battements lents et réguliers. On a l'impression de voir un étrange animal marin revenir à la vie. Il plonge et refait surface, recrache de l'eau par la bouche, roule sur lui-même en un mouvement rythmique qui me donne le tournis. Puis, alors qu'il a disparu sous l'eau depuis si longtemps que je commence à croire qu'il s'est noyé, sa tête rejaillit brusquement juste à côté de moi.                                                                                                    —         Ne fais plus ça, lui dis-je.                                                                                                                         —            Quoi ? Remonter ou rester sous l'eau ? demande-t-il.                                                                               —            Ni l'un ni l'autre. Les deux. On s'en fiche. Contente-toi de faire trempette et sois sage. Ou alors, si tu te sens si en forme, allons aider Peeta.                                                                        Dans les quelques instants qu'il nous faut pour gagner 1’orée de la jungle, je prends conscience du changement. Peut-être est-ce l'expérience de nombreuses années de chasse, ou peut-être que mon oreille reconstruite fonctionne réellement mieux que prévu. Toujours est-il que je sens la masse des corps tièdes tapis au-dessus de nous. Ils n'ont pas besoin de caqueter ni de hurler. Ils sont si nombreux que leur respiration suffit à les trahir. Je touche le bras de Finnick. Il suit mon regard vers le haut. Je ne sais pas comment ils ont fait pour arriver sans bruit. Peut-être n'est-ce pas le cas, d'ailleurs. Nous étions tellement occupés à nous soigner. Ils ont très bien pu se regrouper pendant ce temps. Ce ne sont pas cinq, ni dix, mais des vingtaines de singes qui sont désormais perchés dans les branches basses de la jungle. Les deux que nous avons aperçus après avoir échappé au brouillard ressemblaient à un comité d'accueil. Ceux-là sont inquiétants.                   J'encoche deux flèches sur mon arc, et Finnick modifie sa prise sur son trident.                                 —           Peeta, dis-je le plus calmement possible, tu peux venir une seconde ?                                                   —     D'accord, j'arrive. J'y suis presque, répond-il en continuant à s'échiner sur son arbre. Là, ça y est. Tu as le bec ?                                                                                                                —         Oui. Mais je crois que tu ferais mieux de venir jeter un coup d'œil, dis-je d'une voix mesurée. Sans geste brusque, si tu veux bien.                                                                                                     Je ne tiens pas à ce qu'il remarque les singes, ni même qu'il jette un regard dans leur direction. C'est le genre de créatures capables d'interpréter le moindre contact oculaire comme une agression. Peeta se tourne vers nous, essoufflé par l'effort qu'il vient de fournir. Le ton étrange que j'ai pris a éveillé ses soupçons.                                                            —         D'accord, répète-t-il tranquillement.                                                                                                                             Il revient vers nous à travers la jungle. On voit qu'il essaie de ne pas faire de bruit, mais ça n'a jamais été son fort, même quand il avait encore deux jambes valides. Enfin, le principal est qu'il se rapproche et que les singes campent sur leurs positions. Il n'est plus qu'à cinq mètres de la plage quand il les sent. Il lève brièvement les yeux, une seconde à peine, mais c'est comme s'il avait activé une bombe. Les singes explosent en une masse hurlante de fourrure orange qui converge vers lui.                                                                                            Je n'avais encore jamais vu des animaux évoluer aussi vite. Ils filent le long des lianes comme si elles étaient huilées. Accomplissent des bonds incroyables d'arbre en arbre. Les crocs dénudés, le poil hérissé, les griffes sorties comme des crans d'arrêt. Je n'ai peut-être pas l'habitude des singes, mais je sais que les animaux normaux ne se comportent pas comme ça dans la nature.                                                                                                            — Des mutations génétiques ! Je hurle.                                                                                                      Et je me rue dans les sous-bois.                                                                                                                             Je sais que chaque flèche va devoir compter, et je m'applique. Dans la pénombre surnaturelle, j'abats singe après singe en visant soit les yeux, soit le cœur ou la gorge, de manière que chaque flèche fasse un mort. Ça ne suffirait pas, malgré tout, si Finnick ne harponnait pas d'autres singes comme des poissons pendant que Peeta taille à gauche et à droite avec son couteau. Je reçois des coups de griffes sur la cuisse, dans le dos, avant qu'on me débarrasse de mon assaillant. L'air s'alourdit du parfum des plantes piétinées, d'une odeur de sang et de la puanteur âcre des singes. Peeta, Finnick et moi nous plaçons en triangle, dos à dos, en laissant quelques mètres entre nous. Je tire mes dernières flèches, et mon cœur se serre ; puis je me souviens que Peeta a un carquois, lui aussi. Et il se sert de son couteau. J'ai sorti mon couteau, moi aussi, mais les singes sont si rapides qu'ils peuvent frapper et battre en retraite avant même qu'on puisse réagir.                                                               — Peeta ! Ton carquois ! Je crie.                                                                                                                         Peeta se retourne, comprend ce qui m'arrive et saisit son carquois quand tout s'accélère. Un singe s'élance d'un arbre, droit sur lui. Je n'ai plus de flèche, aucun moyen de l'abattre. Finnick est occupé, j'entends le choc sourd de son trident qui s'enfonce dans une nouvelle victime. Peeta est en train de se défaire de son carquois. Je lance mon couteau mais la mutation génétique parvient à l'éviter en roulant sur elle-même, sans pourtant dévier de sa trajectoire. Désarmée, impuissante, je tente la dernière chose qui me reste à faire. Je me jette sur Peeta pour le clouer au sol, lui faire un rempart de mon corps, même si je sais au fond de moi que j'arriverai trop tard.                                                                                                               Pas la créature qui vient de se matérialiser devant nous, en revanche. Surgie de nulle part, elle se dresse devant Peeta, sanguinolente. Sa bouche ouverte lance un cri aigu, ses pupilles sont si agrandies par la peur que ses yeux ne sont plus que deux trous noirs.

La droguée du district Six ouvre ses bras squelettiques, comme pour étreindre le singe, et celui-ci lui enfonce ses crocs dans la poitrine.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

22

 

 

 

Peeta lâche son carquois pour plonger son couteau dans le dos du singe, encore et encore, jusqu'à ce que la créature desserre les mâchoires. Il la repousse d'un coup de pied puis se campe solidement sur ses jambes, prêt à en affronter d'autres. J'ai ses flèches à présent, et Finnick se trouve derrière moi, le souffle court mais maniant toujours mon trident avec efficacité.                                                                                                          —            Venez ! Venez donc ! crie Peeta, écumant de rage.                                                                       Quelque chose se passe chez les singes. Ils battent en retraite, se retirent dans les arbres, se fondent dans la jungle comme si une voix les avait rappelés. La voix d'un Juge leur intimant l'ordre de reculer.                                                                                                         —         Charge-toi d'elle, dis-je à Peeta. On te couvre.                                                                        Peeta soulève la droguée dans ses bras et l'emporte sur la plage tandis que Finnick et moi protégeons ses arrières. Mais, à l'exception des carcasses orange sur le sol, les singes ont disparu. Peeta dépose la malheureuse sur le sable et découpe sa combinaison au niveau de la poitrine, révélant quatre plaies profondes. Les minces filets de sang qui s'en écoulent les font paraître beaucoup moins graves qu'elles ne le sont en réalité. Les vrais dégâts sont internes. D'après la position des trous, je suis sûre que la bête a percé un organe vital, un poumon, peut-être même le cœur. Elle gît sur le sable, pantelante, comme un poisson hors de l'eau. Avec sa peau flasque d'un jaune cireux, ses côtes saillantes comme celles d'une enfant sous-alimentée. Elle avait sûrement de quoi se payer à manger, mais je suppose qu'elle est tombée dans la morphine comme Haymitch a succombé à la boisson. Tout en elle évoque un immense gâchis - son corps, sa vie, son regard éteint. Je tiens l'une de ses mains tremblantes. Il n'y a rien qu'on puisse faire. Rien, sinon rester près d'elle pendant son agonie.                                                                                                          —         Je vais surveiller les arbres, annonce Finnick avant de s'éloigner.                                                    J'aimerais bien m'éloigner, moi aussi, mais la droguée me serre la main avec tant de vigueur qu'il faudrait lui détacher les doigts un à un, et je ne me sens pas la force d'une cruauté pareille. Je repense à Rue, je me dis que je pourrais peut-être chanter une chanson à cette femme dont je ne connais même pas le nom. Je sais seulement qu'elle est en train de mourir. Peeta vient s'accroupir à côté d'elle et lui caresse les cheveux. Quand il commence à parler d'une voix douce, son discours semble d'abord n'avoir ni queue ni tête.                                                                                                                                                                        —         Chez nous, avec ma boîte de peintures, j'arrive à obtenir toutes les couleurs imaginables. Du rose, pâle comme la peau d'un bébé, ou foncé comme de la rhubarbe. Du vert comme celui de l'herbe au printemps. Du bleu qui scintille comme la glace au-dessus de l'eau.                                                                                                                                                             La droguée plonge son regard dans celui de Peeta, elle boit ses paroles.                                                      —            Une fois, j'ai passé trois jours à mélanger des teintes pour reproduire des rayons de soleil sur de la fourrure blanche. Je pensais qu'il me fallait du jaune, tu vois, alors qu'en fait c'est beaucoup plus compliqué que ça. J'ai dû essayer toutes sortes de couleurs. Les appliquer l'une après l'autre, explique Peeta.                                                                                                 Le souffle de la droguée ralentit, devient plus laborieux. Elle passe sa main libre dans le sang qu'elle a sur la poitrine, en décrivant les petits gestes tourbillonnants du peintre.                             —           Je n'arrive toujours pas à représenter les arcs-en-ciel. Ils disparaissent si vite. Je n'ai jamais le temps de les fixer. Juste un peu de bleu ou de violet ici et là. Et puis, ils s'évaporent. Et il ne reste plus que le ciel.                                                                                                                       La droguée l'écoute avec fascination. Elle paraît comme hypnotisée. Levant une main tremblante, elle esquisse la forme d'une fleur sur la joue de Peeta.                                                          —            Merci, lui chuchote-t-il. Ça m'a l'air très beau.                                                               Pendant un instant, un sourire illumine le visage de la malheureuse, qui pousse un petit couinement étouffé. Puis sa main rougie retombe sur sa poitrine, elle lâche un dernier souffle, et le canon retentit. Je sens ses doigts mollir entre les miens.                                                               Peeta la porte dans l'eau, avant de revenir s'asseoir à côté de moi. La droguée flotte un moment en direction de la Corne d'abondance, puis l'hovercraft apparaît ; une longue griffe descend au bout d'un câble, se referme autour d'elle, l'emporte dans le ciel nocturne, et c'est fini. Finnick nous rejoint à son tour, tenant dans son poing une brassée de flèches ruisselantes de sang de singe. Il les laisse tomber dans le sable à côté de moi.                 —         Je me suis dit que tu aimerais les récupérer.                                                                                —      Merci, dis-je.                                                                                                                                     Je patauge dans l'eau pour nettoyer le sang sur mes armes, et autour de mes plaies. Le temps que je rejoigne à l'orée de la jungle ramasser un peu de mousse afin de les sécher, tous les cadavres de singes ont disparu.                                                                                                          —         Où sont ils passés ? Je murmure, étonnée.                                                                                      —    On ne sait pas. Les lianes ont bougé et, la seconde suivante, il n'y avait plus rien, explique Finnick.

Nous restons là, à fixer la jungle, abrutis de fatigue. Je remarque que des croûtes commencent déjà à se former là où les gouttelettes de brume ont touché ma peau. Ça ne fait plus mal, mais ça me démange furieusement. J'essaie d'y voir un signe encourageant. Les prémices de la guérison. Je jette un coup d'œil vers Finnick et Peeta, tous les deux en train de se gratter le visage. Oui, même la beauté de Finnick en a pris un coup cette nuit.                                —       Ne vous grattez pas, dis-je. (J'ai moi-même bien du mal à m'en empêcher. Mais je sais que c'est le conseil qu'aurait donné ma mère.) Vos plaies risquent de s'infecter. Vous croyez qu'on peut aller boire, maintenant ?                                                                                                                         Nous rejoignons l'arbre mis en perce par Peeta. Finnick et moi surveillons les environs, l'arme prête à servir, pendant qu'il insère le bec ; mais aucune menace nouvelle ne se manifeste. Peeta a trouvé une bonne veine, et l'eau se met à couler. Nous étanchons notre soif, laissons l'eau tiède ruisseler sur nos corps à vif. Nous remplissons quelques coquillages avec de l'eau douce puis retournons sur la plage. Il fait encore nuit, mais l'aube ne devrait plus tarder. À moins que les Juges en décident autrement.                                       —            Pourquoi vous ne dormiriez pas un peu, tous les deux ? Dis-je. Je vais monter la garde un moment.                                                                                                                              —         Non, Katniss, je m'en charge, dit Finnick.                                                                                       Je le regarde dans les yeux, et réalise qu'il a bien du mal à retenir ses larmes. Mags. Le moins que je puisse faire est de lui accorder un peu d'intimité pour la pleurer.                                      — D'accord, Finnick. Merci, dis-je.                                                                                                 Je m'étends sur le sable auprès de Peeta, qui s'endort aussitôt. Je contemple la nuit, en réfléchissant à tous les changements qui peuvent se produire en l'espace d'une journée. Hier matin Finnick était sur ma liste de personnes à abattre, et me voilà prête à m'endormir sous sa surveillance. Il a sauvé Peeta, sacrifié Mags, et je ne sais toujours pas pourquoi. Je sais seulement que je serai toujours en dette avec lui. Tout ce que je peux faire dans l'immédiat, c'est dormir et le laisser pleurer en paix.                                                                    Le soleil est déjà haut dans le ciel quand je rouvre les yeux. Peeta est toujours couché à côté de moi. Au-dessus de nous, une natte d'herbe tendue sur des branches nous fait de l'ombre sur le visage. En m'asseyant, je constate que Finnick n'est pas resté inactif. Il a tressé trois bols avec de l'herbe, les deux premiers remplis d'eau, et le troisième, de coquillages.                                                                                                                                       Assis sur le sable, il est en train d'ouvrir les coquilles au moyen d'une pierre.                                                                        —         Ils sont meilleurs frais, annonce-t-il.                                                                                                        Il détache la chair d'un coquillage et la jette dans sa bouche. Il a encore les yeux rouges, mais je fais celle qui n'a rien remarqué. Mon estomac commence à gargouiller à l'odeur des fruits de mer, et je tends la main vers le bol. La vue de mes ongles incrustés de sang m'arrête. Je me suis grattée comme une folle toute la nuit.

—         Tu sais, si tu te grattes, tes plaies risquent de s'infecter, me fait observer Finnick.      —      Oui, j'ai déjà entendu ça quelque part.                                                                                                                        Je m'enfonce dans les vagues et nettoie mes mains, en me demandant ce que je déteste le plus, la douleur ou les démangeaisons. Agacée, je regagne la plage à grands pas, lève la tête vers le ciel et m'écrie :                                                                                                                 —         Dites, Haymitch, si vous n'êtes pas trop soûl pour entendre, on aimerait bien quelque chose pour soigna la peau.                                                                                                              C'est presque comique de voir à quelle vitesse le parachute apparaît au-dessus de ma tête. Je tends la main et reçois le tube au creux de ma paume.                                                                         —      On a failli attendre, dis-je, sans parvenir à conserver mon expression renfrognée.             Haymitch. Je donnerais n'importe quoi pour cinq minutes de conversation avec lui.                                                       Je me laisse tomber sur le sable à côté de Finnick et dévisse le bouchon du tube. Il en sort un baume à l'odeur acre, où se mêlent le goudron et les aiguilles de sapin. Je fronce le nez, presse une noisette de pommade au creux de ma paume et entreprend de me masser la jambe. Un petit cri de soulagement m'échappe aussitôt. Le produit supprime instantanément mes démangeaisons. Il donne aussi à ma peau une teinte verdâtre assez peu ragoûtante. Avant d'attaquer la deuxième jambe, je jette le tube à Finnick, qui me contemple d'un air dubitatif.                                                                                                             —            On dirait que tu es en train de te décomposer, dit-il.                                                                               Les démangeaisons finissent sans doute par vaincre sa répugnance : au bout d'une minute, il commence à appliquer la pommade à son tour. Il faut reconnaître que le mélange des croûtes et du baume est particulièrement affreux. Je ne peux m'empêcher de sourire devant sa mine dégoûtée.                                                                                                                     —         Mon pauvre Finnick. C'est la première fois de ta vie que tu te sens laid ?                                                       —         Je crois bien. La sensation est complètement nouvelle pour moi. Comment as-tu fait pour la supporter toutes ces années ?                                                                                          —   Il suffit d'éviter les miroirs. On finit par ne plus y penser, tu verras.                                              —        Pas si je continue à te regarder, dit-il.                                                                                                            Nous nous enduisons de la tête aux pieds, en nous aidant à nous passer de la pommade dans le dos là où nos maillots ne nous protègent pas.                                                                            —         Je vais réveiller Peeta, dis-je.                                                                                                   —           Non, attends, m'arrête Finnick. Faisons-le ensemble. En lui collant nos visages sous le nez.                                                                                                                                                        Comme les occasions de rire ne seront plus très nombreuses, j'accepte. Nous nous plaçons de part et d'autre de Peeta, nous penchons à quelques centimètres de lui, et le secouons doucement.

—         Peeta. Peeta, réveille-toi, dis-je d'une voix mélodieuse.                                                                        Il ouvre les paupières, et bondit en arrière comme s'il avait reçu un coup de poignard.                   —  Aaah !                                                                                                                                                      Finnick et moi basculons dans le sable en riant à gorge déployée. Chaque fois que nous tentons de reprendre notre sérieux, l'expression dédaigneuse de Peeta nous fait nous esclaffer de plus belle. Quand nous réussissons enfin à sécher nos larmes, je me dis qu'au fond Finnick Odair gagne à être connu. Il est loin d'être aussi vaniteux ou imbu de lui-même que je le pensais. Je commence même à l'apprécier. À peine en suis-je parvenue à cette conclusion qu'un deuxième parachute se pose à côté de nous avec une belle miche de pain frais. Soudain, je repense à la stratégie d'Haymitch l'an dernier : chaque cadeau qu'il m'envoya m était également porteur d'un message. Je comprends immédiatement celui qu'il vient de me transmettre : « Sois amie avec Finnick. Tu auras de quoi manger. »                                Finnick retourne le pain entre ses mains, examine la croûte. Avec une possessivité marquée. Ce n'est pas nécessaire. La miche a cette teinte verdâtre que les algues donnent au pain du district Quatre. Nous savons tous que c’est la sienne. Peut-être vient-il à l'instant de prendre conscience du prix de ce pain, l'un des derniers qu'il savourera. À moins que la croûte ne lui rappelle un souvenir de Mags.                                                                      — Ça ira très bien avec les coquillages, déclare-t-il simplement.                                                          Tandis que j'aide Peeta à se tartiner de pommade, Finnick détache d'une main experte la chair des coquillages. On s'assoit en rond et on déguste ces fruits de mer avec le pain salé du district Quatre. Malgré notre allure effroyable - certaines de nos croûtes commencent à desquamer sous l'effet du baume —, je me réjouis d'avoir reçu ce remède. Pas uniquement parce qu'il réduit les démangeaisons, mais aussi parce qu'il nous protège contre ce soleil accablant qui brûle dans le ciel rose. D'après sa position, j'estime qu'il doit être aux alentours de 10 heures. Ça fait donc une journée que nous sommes dans l'arène. Onze d'entre nous sont morts. Nous ne sommes plus que treize. Dont dix se cachent quelque part dans la jungle. Trois ou quatre sont des carrières. Je ne veux même pas me rappeler qui sont les autres.                                                                                                                           À mes yeux, la jungle a vite perdu sa fonction de refuge pour devenir un piège sinistre. Je sais que tôt ou tard nous serons forcés de retourner dans ses profondeurs, soit pour chasser, soit pour être chassés ; mais, pour l'instant, j'ai l'intention de rester sur notre petite plage. D'ailleurs, ni Peeta ni Finnick ne semblent pressés d'en partir. Pendant un long moment la jungle reste presque statique : elle murmure, elle chatoie, sans faire étalage de ses dangers. Et puis, soudain, des hurlements s'élèvent dans le lointain. En face, un quartier de jungle se met à vibrer. Une vague énorme surgit derrière la colline, étête les arbres et dévale la pente en rugissant. Elle frappe la roue avec une telle violence que, même de ce côté-ci, le niveau de l'eau monte brusquement jusqu'au genou, emportant nos maigres possessions. À nous trois, nous parvenons à récupérer le principal, à l'exception de nos combinaisons saturées de poison, tellement rongées par l'acide que leur perte nous importe peu de toute façon.                                                                                                                  Le canon retentit. L'hovercraft apparaît au-dessus de la zone balayée par la vague pour récupérer un corps entre les arbres. « Et de douze ! » me dis-je.                                                                          Une fois la vague géante absorbée, les eaux s'apaisent lentement autour de la Corne d'abondance. Nous lâchons notre équipement sur le sable mouillé et sommes sur le point de nous rasseoir quand je les vois déboucher sur la plage en titubant. Ils sont trois, à deux rayons de distance.                                                                                                                                — Là ! Dis-je à voix basse, en indiquant les nouveaux venus d'un geste de la tête.                                     Peeta et Finnick suivent mon regard. Sans qu'il soit nécessaire d'en discuter, nous battons en retraite dans les ombres de la jungle. Le trio est mal en point, ça se voit tout de suite. L'un de ses membres se fait pratiquement traîner par un autre, tandis que le troisième tourne en rond comme s'il n'avait plus les idées claires. À voir leur teint rouge brique, on dirait qu'on les a plongés dans la peinture.                                                                                             —    Qui est-ce ? demande Peeta. Des concurrents ou des mutations génétiques ? J'encoche une flèche, pour parer à toute éventualité. Mais celui qui se faisait tirer s'écroule sans force sur la plage. L'autre, qui le traînait, donne un coup de pied rageur dans le sable, puis, peut-être pour calmer ses nerfs, se retourne et fait tomber le troisième. Le visage de Finnick s'illumine.                                                                                             —            Johanna ! Appelle-t-il, avant de s'élancer à la rencontre du trio.                                              —            Finnick ! Lui répond la voix de johanna.                                                                                              J'échange un regard avec Peeta.                                                                                                            —     Et maintenant ? dis-je.                                                                                                                —          Eh bien, on ne peut pas abandonner Finnick.                                                                           —      Non, j'imagine que non. C'est bon, amène-toi, je grommelle.                                                                                              Je suis furieuse parce que, même si j'avais eu une liste d'alliés, Johanna Mason n'aurait certainement pas figuré dessus. Nous longeons la plage jusqu'à l'endroit où Finnick et Johanna fêtent leurs retrouvailles. En approchant, je reconnais les deux autres et la confusion s'installe. Il y a Beetee, allongé sur le dos, et Wiress, qui s'est relevée et se remet à tourner en rond.                                                                                                                   —  Elle est avec Wiress et Beetee.                                                                                                                     —         Tics et Volts ? s'exclame Peeta, incrédule. Alors là, j'aimerais bien savoir ce qui s'est passé.                                                                                                                                                   Quand nous les rejoignons, Johanna est en train d'indiquer la jungle en racontant à toute vitesse :                                                                                                                                                                        —         On a cru que c'était de la pluie, tu vois, à cause des éclairs, et on avait tous tellement soif. Mais quand les premières gouttes sont tombées, on a vu que c'était du sang. Du sang chaud. On ne voyait rien du tout, on ne pouvait pas ouvrir la bouche sans en avaler. On a essayé de sortir de la forêt comme on pouvait, à l'aveuglette. C'est là que Blight est tombé sur le champ de force.                                                                                                    —         Je suis désolé, Johanna, dit Finnick.                                                                                                 Il me faut un moment pour situer Blight. Il me semble que c'était l'autre tribut du district Sept qui était venu avec Johanna, mais je me souviens à peine de quoi il avait l'air. En y réfléchissant, je ne crois même pas l'avoir vu aux entraînements.                                                                           —       Oui, bah, il ne valait pas grand-chose mais il était de chez moi, dit-elle. Dire qu'il m'a laissée seule avec ces deux-là. (Elle pousse Beetee, à peine conscient, du bout de sa chaussure.) Il a pris un coup de couteau dans le dos à la Corne d'abondance. Quant à elle...                    Nous nous tournons vers Wiress, qui continue à tourner en rond, couverte de sang séché, en répétant à voix basse :                                                                                                                      —      Tic, tac. Tic, tac.                                                                                                                                   — Oui, tic, tac. On sait. Tics est en état de choc, bougonne Johanna. (Wiress oblique dans sa direction et lui rentre dedans ; Johanna la repousse avec rudesse sur le sable.) Reste tranquille, tu veux ?                                                                                                                 —         Fiche-lui la paix, dis-je d'un ton hargneux.                                                                                 Johanna fixe sur moi ses yeux marron brûlants de haine.                                                                   —          Que je lui fiche la paix ? Siffle-t-elle. (Elle fait un pas vers moi et, avant que je puisse réagir, me gifle si fort que je vois trente-six chandelles.) Qui les a sortis de cette foutue jungle pour toi, à ton avis ? Espèce de...                                                                                             Finnick la jette en travers de son épaule et, sans prêter attention à ses ruades, la porte jusque dans l'eau où il la plonge à plusieurs reprises pendant qu'elle me crie toutes sortes d'insultes. Mais je ne tire pas. Parce qu'elle est avec Finnick, et aussi en raison de ce qu'elle a dit.                                                                                                                                                                                —         De quoi veut-elle parler, en affirmant les avoir sortis, de la jungle pour moi ? Dis-je à Peeta.                                                                                                                                             —         Aucune idée. C'est vrai que tu les voulais avec nous, au début, me rappelle-t-il.                                —            Exact. Au début. (Ça ne répond pas à la question Je baisse les yeux sur la forme inerte de Beetee.) Sauf qu'on ne les aura pas longtemps avec nous si on ne fait rien.                                                                 Peeta soulève Beetee, je prends Wiress par la main et nous les ramenons à notre petit campement sur la plage. Je fais s'asseoir Wiress dans l'eau afin qu'elle puisse se débarbouiller, mais elle se contente de se tordre les mains en marmonnant « tic, tac » de temps à autre. Je défais la ceinture de Beetee et j'y trouve un lourd cylindre en métal attaché avec une cordelette de lianes. J'ignore de quoi il s'agit, mais s'il a cru bon de le garder, je ne vois aucune raison de le jeter. Je le mets donc de côté sur le sable. Le sang colle ses habits à sa peau, si bien que Peeta doit le tenir dans l'eau pendant que je le déshabille. J'ai quand même du mal à lui retirer sa combinaison, et c'est pour découvrir que ses sous-vêtements ne valent guère mieux. Il ne me reste pas d'autre choix que de le dénuder entièrement pour le nettoyer, ce qui ne me fait plus ni chaud ni froid. La table de notre cuisine a vu défiler tellement d'hommes nus cette année. On finit par s'y habituer.                   Nous déposons Beetee sur la natte tressée par Finnick, face contre terre afin de pouvoir examiner son dos. Une entaille de quinze centimètres court de son omoplate à ses côtes flottantes. Heureusement, elle ne semble pas trop profonde. Il a perdu beaucoup de sang, par contre - sa pâleur en atteste -, et la plaie continue de saigner.                                                                             Je m'assieds dans le sable et m'efforce de réfléchir. Avec quoi vais-je bien pouvoir le soigner ? De l'eau de mer ? J'ai l'impression de me retrouver dans la même situation que ma mère, quand elle n'avait que de la neige fraîche à sa disposition. Je jette un coup d'œil en direction de la jungle. Je parie qu'il y aurait une véritable pharmacie là-dedans, si je savais quoi chercher. Mais ce ne sont pas mes plantes. Puis je repense à ce que m'avait donné Mags pour me moucher.                                                                                                                — Je reviens ! Dis-je à Peeta.                                                                                                                                Heureusement, on trouve de la mousse en abondance dans ces sous-bois. J'en ramasse une brassée sur les arbres les plus proches et je la rapporte sur la plage. J'en fais une sorte de cataplasme, que je pose sur la blessure de Beetee et que j'entortille de lianes pour le faire tenir en place. Enfin, nous lui faisons boire un peu d'eau avant de le traîner à l'ombre, à l'orée de la jungle.                                                                                                                 —         Je ne vois pas ce qu'on peut faire de plus, dis-je.                                                                      —          C'est déjà beaucoup. Tu es douée pour soigner les gens, me complimente Peeta. Tu as ça dans le sang. Comme ta mère.                                                                                                             Je secoue la tête.                                                                                                                                 —         Non, j'ai plutôt le sang de mon père. (Le genre qui bouillonne dans mes veines pendant la chasse, pas lors d'une épidémie.) Je vais m'occuper de Wiress.                                                                                                  Je ramasse une poignée de mousse en guise d'éponge et rejoint Wiress dans l'eau. Elle se laisse déshabiller et laver sans résistance. Mais ses yeux restent dilatés par la peur et, quand je lui parle, elle ne réagit pas sinon pour répéter d'un ton pressant :                                       —          Tic, tac.                                                                                                                                      Elle semble vouloir m'expliquer quelque chose. Malheureusement, sans la traduction de Beetee, je ne parviens pas à la comprendre.                                                                                     —      Mais oui, tic, tac. Tic, tac, dis-je.                                                                                                           Ça paraît la calmer un peu. Je frotte sa combinaison jusqu'à ce qu'il n'y reste presque plus aucune tache de sang, puis je l'aide à la renfiler. Elle n'a pas subi les mêmes dommages que les nôtres. Sa ceinture est intacte, elle aussi, je la lui attache autour de la taille. Quant à ses sous vêtements, je les coince sous une grosse pierre et les fais tremper, comme ceux de Beetee.                                                                                                                                                 Le temps de rincer la combinaison de Beetee, nous sommes rejoints par un Finnick qui pèle sur tout le corp et une Johanna toute propre. Pendant que celle-ci boit comme un trou et s'empiffre de coquillages, j'essaie de faire avaler un morceau à Wiress. Finnick raconte l'histoire du brouillard et des singes sur un ton détaché, presque clinique, en passant sous silence l'élément principal de l'histoire.Tout le monde se propose pour monter la garde tandis que les autres se reposeront, mais, pour finir, c'est Johanna et moi qui restons à veiller. Moi parce que je suis tout à fait reposée, elle parce qu'elle refuse purement et simplement de se coucher. Nous nous asseyons en silence sur la plage jusqu'à ce que les autres soient endormis. Après un coup d'œil en direction de Finnick, par mesure de précaution, Johanna se tourne vers moi.                                                                                —         Comment avez-vous perdu Mags ?                                                                                                    —     Dans le brouillard. Finnick portait Peeta, et moi, Mags. Mais assez vite je n'ai pas eu la force de continuer. Finnick ne pouvait pas les prendre tous les deux. Elle l'a embrassé et s'est avancée directement dans le brouillard.                                                                                                   —         C'était l'ancien mentor de Finnick, tu sais ? m'apprend Johanna sur un ton accusateur.                                                                                                                                        —         Non, je l'ignorais, dis-je.                                                                                                                      —   Elle était pratiquement de sa famille, soupire Johanna un moment plus tard, d'une voix moins venimeuse.                                                                                                                                     Nous regardons l'eau passer et repasser sur les sous-vêtements.                                                                              —         Et toi, comment t'es-tu retrouvée avec Tics et Volts ? je demande.                                                  —  Je te l'ai dit : je suis allée les chercher pour toi. D'après Haymitch, c'était la condition pour que nous puissions faire alliance, explique Johanna. C'est bien ce que tu lui avais dit, non ?                                                                                                                                          « Non », me dis-je en moi-même. Pourtant, je hoche la tête.                                                            —   Merci. J'apprécie.                                                                                                                      — J'espère bien.                                                                                                                                                  Elle m'adresse un regard dégoûté, comme si j'étais le pire boulet qu'elle ait jamais traîné de sa vie. Je me demande si ça ressemble à ça, d'avoir une grande sœur qui vous déteste.         Soudain, j'entends derrière moi :                                                                                                         —         Tic, tac.                                                                                                                                               Je me retourne et je vois Wiress s'approcher en rampant. Ses yeux restent fixés sur la jungle.                                                                                                                                                 —         Super, en voilà déjà une qui va mieux. Bon, je vais dormir. Tics et toi n'aurez qu'à vous tenir compagnie, grogne Johanna.                                                                                                    Elle se lève brusquement et se couche près de Finnick.                                                                            —           Tic, tac, chuchote Wiress.                                                                                                                     Je la guide vers moi et l'oblige à s'allonger, en lui caressant le bras pour la calmer. Elle s'endort d'un sommeil agité, dans lequel elle lâche parfois un « tic, tac » dans un soupir.             —   Tic, tac, dis-je doucement. C'est l'heure d'aller au lit. Tic, tac. Il est temps de dormir.                                                                                                                                                      Le soleil monte dans le ciel jusqu'à se trouver au-dessus de nous. «Il doit être midi», me dis-je machinalement. Non pas que ça ait la moindre importance. De l'autre côté de l'eau, sur ma droite, la foudre frappe un arbre avec un flash énorme et l'orage électrique reprend de plus bel. Exactement au même endroit que la nuit dernière. Quelqu'un a dû s'approcher trop près et déclencher l'attaque. Je contemple les éclairs tout en veillant sur Wiress, bercée par le clapotis de l'eau. Je repense à la nuit dernière, à la manière dont l'orage a éclaté juste après les coups de cloche. Les douze coups.                                              —         Tic, tac, dit Wiress, revenant brièvement à la conscience avant de se rendormir aussitôt.                                                                                                                                                     Je me lève lentement et je balaye l'arène du regard. La foudre frappe dans ce coin-là. Le coin suivant est celui dans lequel la pluie de sang s'est abattue sur Johanna, Wiress et Beetee. Nous devions être dans le troisième coin, juste après, quand le brouillard est apparu. Et dès que le brouillard s'est dissipé, les singes ont commencé à se regrouper dans le quatrième coin. Tic, tac. Je tourne la tête de l'autre côté. Deux heures plus tôt, vers 10 heures environ, cette vague a surgi dans le deuxième coin à gauche de celui sur lequel la foudre frappe en ce moment. À Midi. À minuit. A midi.                                                              — Tic, tac, répète Wiress dans son sommeil.                                                                                                   Quand l'orage électrique s'interrompt et que la pluie de sang prend la suite dans le coin juste à droite, ces deux mots prennent soudain tout leur sens.                                                                 —  Oh, dis-je dans un souffle. Tic, tac. Je jette un regard circulaire sur l'arène, et je comprends qu'elle a raison. Tic, tac. C'est-une horloge.

 

23

Une horloge. Je peux presque voir les aiguilles tourner autour de l'arène découpée en douze quartiers. À chaque heure s'amorce une nouvelle horreur, une manœuvre diabolique des Juges, tandis qu'une autre prend fin. La foudre, la pluie de sang, le brouillard, les singes - voilà les quatre premières heures de l'horloge. Puis à 10 heures, la vague. J'ignore ce qui se produit lors des sept autres heures, mais je sais que Wiress a vu juste.                                           À présent, la pluie de sang est en train de tomber et nous sommes sur la plage dans le coin des singes, bien trop près du brouillard à mon goût. Les différents phénomènes restent-ils confinés dans la jungle ? Pas nécessairement. Ce n'était pas le cas pour la vague. Si ce brouillard déborde sur la plage, ou si les singes reviennent...                                               — Debout ! dis-je à Peeta, Finnick et Johanna en les réveillant. Levez-vous ! Il faut qu'on bouge.                                                                                                                                                           Il reste assez de temps pour leur expliquer ma théorie. Leur parler du tic-tac de Wiress, de la manière dont les aiguilles invisibles activent une force mortelle dans chaque section.                      Quelques minutes plus tard, je crois avoir convaincu tout le monde, à l'exception de Johanna, naturellement hostile à toute suggestion de ma part. Même si elle convient qui prudence est mère de sûreté. Tandis que les autres ramassent nos maigres possessions et enfilent sa combinaison à Beetee, je secoue Wiress. Elle s'éveille avec un « tic-tac ! » paniqué.                                                                                                                                               —         Oui, tic, tac, l'arène est une horloge. C'est une horloge, Wiress, vous aviez raison, dis-je. Vous aviez raison.                                                                                                             Le soulagement se lit sur son visage - parce que, je suppose, quelqu'un a enfin compris ce qu'elle avait probablement deviné dès les premiers sons de cloche.                                                      —        Minuit, dit-elle.                                                                                                                              —         Ça commence à minuit, oui. »                                                                                                                        Un souvenir me revient. Une autre horloge. Non, une montre, au creux de la main de Plutarch Heavensbee. « Ça commence à minuit », m'a-t-il dit. Puis mon geai moqueur s'est affiché brièvement, avant de disparaître. Avec le recul, j'ai l'impression qu'il voulait me donner un indice sur le fonctionnement de l'arène. Mais pourquoi l'aurait-il fait ? À ce moment-là, je n'étais pas encore un tribut dans ces Jeux. Peut-être a-t-il pensé que ça pourrait m'aider dans mon rôle de mentor. À moins que toute cette histoire ait été planifiée depuis le début.

Wiress indique la pluie de sang du menton.                                                                                       —   Un et demi, dit-elle.                                                                                                                    —         Exactement. Une heure et demie. Et à 2 heures, un brouillard empoisonné se lève dans ce coin-là, dis-je en indiquant la jungle. C'est pour ça que nous devons partir d'ici sans tarder. (Elle me sourit et se lève docilement.) Vous avez soif?                                                                        Je lui tends le bol d'eau, et elle boit un bon litre. Finnick lui donne le reste du pain, qu'elle mastique avec appétit. Ayant surmonté son incapacité à communiquer, elle semble retrouver un second souffle. Je vérifie mes armes. J'enveloppe le bec et le tube de pommade dans le parachute, que j'attache à ma ceinture avec un bout de liane.                                                Beetee est encore très faible, mais quand Peeta essaie de le soulever, il résiste.                              —         Mon fil, proteste-t-il.                                                                                                                 —          Quoi ? De quoi est-ce que vous parlez ? demande Peeta.                                                            Mais Beetee continue à se débattre.                                                                                                    —         Mon fil, insiste-t-il.                                                                                                                           —       Oh, je sais ce qu'il veut, dit Johanna avec impatience. (Elle traverse la plage et ramasse le cylindre que nous avons détaché de sa ceinture pour le baigner. Il est couvert de sang coagulé.) Cette saleté de truc. Une sorte de fil, ou je ne sais quoi. C'est à cause de ça qu'il s'est fait avoir. Eu courant le rafler à la Corne d'abondance. Je ne sais pas pourquoi il y tient. Je suppose qu'en le déroulant on peut s'en servir comme d'un garrot. Mais, franchement, vous imaginez Beetee en train de faire un garrot à qui que ce soit ?                                     — Il a remporté ses Jeux avec un morceau de fil. Grâce au piège électrique qu'il avait installé, dit Peeta. Pour lui, c'est une arme prodigieuse .                                                                           —   Bizarre que tu n'aies pas fait le lien, dis-je. On ne l'appelle pas Volts pour rien, tu sais.                                                                                                                                                      Johanna me fixe en plissant les yeux.                                                                                                   — C'est vrai, ça, où avais-je la tête ? Je devais être trop occupée à sauver tes petits copains. Pendant que toi... lu faisais quoi, au juste ? Ah oui. Tu abandonnais Mags à la mort. Mes doigts se crispent sur le manche de mon couteau.                                                                               —         Vas-y. Essaie. Je me fiche que tu sois armée, je t'arracherai la gorge à mains nues, dit Johanna.                                                                                                                                                  Je ne peux pas la tuer maintenant, je le sais. Mais entre Johanna et moi ce n'est que partie remise. Tôt ou tard, l'une de nous réglera son compte à l'autre.                                                                —  Nous ferions peut-être bien de nous calmer un peu, tous, intervient Finnick en m'adressant un regard sévère. (Il prend le cylindre et le dépose sur le torse de Beetee.) Tiens, Volts, ton fil. Fais attention à ne pas le brancher n'importe où.                                                 Peeta empoigne Beetee, qui se laisse désormais soulever sans résistance.                                                     —            Où va-t-on ?                                                                                                                                 —            J'aimerais bien retourner à la »Corne d'abondance, suggère Finnick. Juste pour vérifier cette histoire d'horloge.                                                                                                                         C'est un plan qui en vaut un autre. Par ailleurs, c'est l'occasion de fouiller plus longuement dans le tas d'armes. Et puis, nous sommes six à présent. Même sans compter Beetee et Wiress, ça représente quand même quatre vrais combattants. Rien avoir avec ma situation de l'an dernier, où je ne pouvais compter que sur moi-même. Oui, c'est génial d'avoir des alliés - tant qu'on oublie qu'il faudra les éliminer un jour.                                                           Beetee et Wiress s'arrangeront probablement pour se faire tuer. Si nous devons fuir devant un danger, ils n'iront pas très loin. Quant à Johanna, franchement, je pourrais l'éliminer sans sourciller pour défendre Peeta. Ou même rien que pour ne plus l'entendre. Ce qu'il me faut, c'est quelqu'un pour s'occuper de Finnick à ma place, car je ne me sens pas la force de le supprimer. Pas après tout ce qu'il a fait pour Peeta. Je pourrais peut-être monter une rencontre inopinée avec les carrières ? C'est monstrueux, je sais. Mais ai-je le choix ? Maintenant que nous sommes au courant pour l'horloge, il y a peu de chances qu'il meure dans la jungle. Il va donc devoir combattre.

Dégoûtée, j'essaie de penser à autre chose. Mais la seule idée qui me vienne pour oublier où je suis, c'est de fantasmer sur le meurtre du président Snow. Rêveries bien macabres pour une jeune fille de dix-sept ans, je sais, mais ô combien gratifiantes.                                                      Nous remontons la bande de sable la plus proche et approchons de la Corne d'abondance avec prudence, au cas où les carrières y seraient dissimulés. J'en doute, cela dit, car nous sommes restés sur la plage pendant des heures sans apercevoir le moindre signe de vie. L'endroit est désert, comme je m'y attendais. Il n'y a que l'immense corne dorée et le tas d'armes.                                                                                                                        Quand Peeta allonge Beetee à l'ombre de la Corne d'abondance, celui-ci appelle Wiress. Elle s'accroupit auprès de lui, et il lui fourre sa bobine de fil dans les mains.                                    —   Tu veux bien le nettoyer ? lui demande-t-il.                                                                               Wiress hoche la tête, va s'asseoir près des vagues et plonge le cylindre dans l'eau. Elle entonne une drôle de chanson, où il est question d'une souris qui court sur une horloge, Une comptine enfantine, sans doute, qui semble faire son bonheur.                                                    —         Oh, non ! s'exclame Johanna en levant les yeux au ciel, pas cette chanson ! Elle l'a fredonnée pendant des heures avant de se mettre à dérailler.                                                              Wiress se lève soudain, très droite, et pointe le doigt vers la jungle.                                                                                              —   Deux, dit-elle.                                                                                                                          En suivant la direction de son doigt, je vois le mur de brouillard se répandre sur la jungle.            —   Elle à raison, regardez. Il est 2 heures, et le brouillard se lève.                                                        — Réglé comme une horloge, confirme Peeta. Astucieux de votre pan d'avoir remarqué ça, Wiress.                                                                                                                             Wiress sourit, puis se remet à fredonner en nettoyant sa bobine de fil.                                                                                                                             —         Oh, c'est plus que de l'astuce, assure Beetee. C'est de l'intuition. (Tout le monde se tourne vers Beetee, qui paraît revenir à la vie.) Elle sent les choses avant qu'elles n'arrivent. Comme un canari dans vos mines de charbon.                                                                                             —       Qu'est-ce que c'est, un canari ? me demande Finnick.                                                                                     — Un oiseau qu'on emmène dans les mines pour donner l'alerte quand l'air devient irrespirable.                                                                                                                                                  —         Comment fait-il ? Il meurt ? S’enquiert Johanna.                                                                        —            D'abord, il arrête de chanter. C'est le signal qu'il vaut mieux remballer sans traîner. Mais si l'air est trop empoisonné, il meurt, oui. Comme tous ceux qui sont avec lui.                                                     Je n'ai pas envie d'évoquer la mort d'oiseaux chanteurs. Ça me fait penser à la mort de mon père, à la mort de Rue, à la mort de Maysilee Donner et à ma mère qui avait hérité de son serin. Oh, super, maintenant je pense à Gale en train de s'échiner au fond de cette mine abominable, avec la menace du président Snow comme une épée de Damoclès au-dessus de sa tête. Il serait si facile de lui arranger un accident fatal. Un canari muet, une étincelle, et le tour serait joué. J’en reviens à mes fantasmes d'assassiner le président.                      Malgré l'agacement que lui inspire Wiress, je n'ai jamais vu Johanna aussi heureuse. Pendant que je reconstitue ma réserve de flèches, elle fouille parmi les armes et en sort deux haches. Ce choix peut paraître curieux, jusqu'à ce que je la voie en lancer une avec une telle force qu'elle s'enfonce dans l'or tendre de la Corne d'abondance. Bien sûr ! Johanna Mason, district Sept. L'industrie forestière. Je suppose qu'elle sait lancer des haches depuis qu'elle a quitté ses couches. C'est comme Finnick avec son trident. Ou Beetee avec son fil, Rue avec sa connaissance des plantes. Face aux autres, les tributs du district Douze ont un handicap certain : celui d'affronter les Jeux sans aucun talent. Nous ne travaillons pas à la mine avant nos dix-huit ans. Alors que la plupart des autres apprennent les rudiments de leur métier bien avant. Certaines choses qu'on nous enseigne dans la mine pourraient nous servir dans les Jeux. Manier une pioche. Manipuler des explosifs. Ça constituerait un atout. Au même titre que mon expérience de la chasse. Mais nous apprenons tout ça beaucoup trop tard.                                                                                                Pendant que je fouinais parmi les armes, Peeta s'est assis par terre pour tracer quelque chose avec la pointe de son couteau sur une grande feuille plate ramassée dans la jungle. En regardant par-dessus son épaule, je vois qu'il dessine une carte de l'arène. Au centre figure la Corne d'abondance sur son cercle de sable, avec les douze rayons qui partent vers la plage. On dirait une tarte coupée en douze parts égales. Un deuxième cercle représente la limite des eaux, et un troisième, l'orée de la jungle.

—   Regarde l'orientation de la corne, me suggère-t-il.                                                                Un seul coup d'œil à la Corne d'abondance, et je comprends tout de suite.                                                  —            La queue pointe en direction de 12 heures ?                                                                             —     Exact, ce qui nous donne le sommet de l'horloge. (Il trace rapidement les chiffres de un à douze tout autour du cadran.) Entre douze et un, c'est la zone où la foudre frappe.                         Il écrit « foudre » en tout petits caractères dans le coin correspondant, puis «sang», «brouillard» et « singe. « dans les coins suivants.                                                                                 —         Entre dix et onze, c'est la vague, dis-je.                                                                                               Il l'ajoute sur la carte. Finnick et johanna nous rejoignent, bardés de tridents, de haches et de couteaux.                                                                                                                                          —         Avez-vous remarqué quoi que ce soit d'étrange dans les autres quartiers ? Je demande à Johanna et Beetee, qui ont peut-être exploré d'autres parties de l'arène que nous.                                                                                                                                                      Mais ils n'ont vu que des flots de sang.                                                                                                             —            Je vais indiquer ceux dont l'effet s'étend au-delà de la jungle, déclare Peeta en traçant des diagonales sur la plage au niveau du brouillard et de la vague. Qu'on se souvienne de les éviter à tout prix. (Il se redresse.) Eh bien, nous voilà quand même un peu plus avancés que ce matin.                                                                                                                             Nous marquons tous notre approbation d'un hochement de tête, et c'est à ce moment précis que je remarque le silence. Notre canari, Wiress, a cessé de chanter.Je n'hésite pas. J'encoche une flèche, je pivote sur moi-même et je découvre un Gloss ruisselant qui laisse Wiress glisser par terre, la gorge tranchée en un sourire écarlate. La pointe de ma flèche disparaît dans sa tempe droite. Dans l'instant qu'il me faut pour recharger mon arc, Johanna a planté une hache dans la poitrine de Cashmere. Finnick détourne l'épieu que Brutus avait lancé sur Peeta et reçoit le couteau d'Enobaria dans la cuisse. Sans la Corne d'abondance qui leur a servi de refuge, ils seraient morts, les deux tributs du district Deux. Je m'élance à leur poursuite. Boum ! Boum ! Boum ! Le canon me confirme qu'il n'y a plus rien à faire pour Wiress, ni aucun besoin d'achever Gloss ou Cashmere. Mes alliés et moi faisons le tour de la corne, sur les traces de Brutus et d'Enobaria qui piquent un sprint vers la jungle le long d'une bande de sable. Soudain, le sol se dérobe sous mes pieds et me projette sur le flanc. Le disque de sable sur lequel repose la Corne d'abondance se met à tourner, de plus en plus rapidement, et je vois la jungle défiler si vite que ma vue se brouille. Sentant la force centrifuge m'entraîner vers l'eau, je plante les mains et les pieds dans le sable et me cramponne de mon mieux au sol instable. Le sable qui vole en tous sens et la sensation de vertige m'obligent à fermer les yeux. Je ne peux rien faire à part m'agripper. Et puis, tout à coup, sans la moindre décélération, le sol cesse de tourner.

Nauséeuse, du sable plein la bouche, je me relève lentement pour constater que mes compagnons sont dans le même état que moi. Finnick, Johanna et Peeta ont tenu bon. Les trois cadavres ont roulé dans l'eau.                                                                                                         Toute l'affaire, depuis le moment où Wiress a cessé de chanter jusqu'à maintenant, n'a pas dû prendre plus d'une minute ou deux. Nous restons assis là, le souffle court, à cracher du sable.                                                                                                                                                      — Où est Volts ? demande Johanna.                                                                                                                Nous bondissons sur nos pieds. Une brève inspection de la corne d'abondance confirme qu'il n'est plus là. Finnick le repère dans l'eau à une vingtaine de mètres, surnageant à grand-peine, et il plonge aussitôt pour le récupérer.                                                                                  C'est alors que je me rappelle le fil, et l'importance qu'il avait à ses yeux. Je cherche autour de moi avec frénésie ou est il ? Je l'aperçois dans la main crispée de Wiress, loin dans l'eau. Mon estomac se noue à l'idée de ce qui m’attend.                                                 —  Couvrez-moi, dis-je aux autres.                                                                                                               J’abandonne mes armes pour courir sur la bande de sable la plus proche d'elle. Sans ralentir, je me jette à l'eau et commence à nager avec vigueur. Du coin de l'œil, je vois l'hovercraft apparaître au-dessus de nous et la griffe descendre pour emporter Wiress. Mais je ne m'arrête pas, je continue à nager de toutes mes forces jusqu'à buter dans son cadavre. Je sors la tête et je respire un grand coup, eu évitant tant bien que mal d avaler l'eau rougie de sang qui s’étale autour de son cou. EIle flotte sur le dos, soutenue par sa ceinture les yeux braqués sur le soleil implacable. Sans cesser de pattoger, je lutte pour lui arracher le cylindre qu'elle serre encore jusque dans la mort. Je ne peux rien faire de plus sinon lui fermer les yeux, lui murmurer « adieu » et m'éloigner. Le temps pour moi de jeter la bobine de fil sur le sable et de me hisser hors de l'eau, son corps a disparu. Mais j'ai encore dans la bouche le goût de son sang mêlé à l'eau de mer.                                                           Je regagne la Corne d'abondance. Finnick a ramené Bee-tee à demi noyé. Le pauvre est assis dans le sable, à souffler de l'eau de mer par les narines. Il a eu la présence d'esprit de tenir ses lunettes, de sorte qu'il y voit encore clair. Je dépose le cylindre sur ses genoux. Il est comme neuf, sans la moindre trace de sang. Beetee tire un bout de fil qu'il fait couler entre ses doigts. C'est la première fois que je vois un fil métallique pareil : couleur d'or pâle, et fin comme un cheveu. Je me demande quelle longueur il peut y en avoir dans ce cylindre. Probablement des kilomètres. Mais je ne pose pas la question, car je sais que Beetee pense à Wiress. Je regarde les autres. Les expressions sont graves. À présent, Finnick, Johanna et Beetee ont tous perdu leur partenaire de district. Je marche jusqu'à Peeta, le serre dans mes bras, et pendant un moment nous demeurons tous silencieux.                                                                                                                                                     — Fichons le camp de cet îlot pourri, finit par grommeler Johanna.                                                                           Ne reste plus que la question de nos armes, que nous avons conservées pour la plupart. Heureusement, les lianes sont solides par ici et j'ai conservé à ma ceinture le bec et le tube de pommade enveloppés dans le parachute. Finnick retire son maillot et l'attache autour de la blessure qu'Enobaria lui a infligée à la cuisse ; la plaie n'est pas profonde. Comme Beetee pense pouvoir marcher, à condition que nous n'allions pas trop vite, je l'aide à se lever. Nous décidons de regagner la plage à 12 heures. Voilà qui devrait nous assurer plusieurs heures de tranquillité, loin de tout résidu de poison. Mais Peeta, Johanna et Finnick partent dans trois directions différentes.                                                              —   On a dit 12 heures, non ? S’étonne Peeta. C'est là où pointe le bout de la corne.                                      —     Avant qu'ils nous fassent pivoter, rectifie Finnick. Je me basais plutôt sur la position du soleil.                                                                                                                              —         Le soleil t'indique seulement qu'il est 4 heures, Finnick, dis-je.                                                                  —            Je crois que Katniss insinue que savoir l'heure ne veut pas nécessairement dire qu'on sait la trouver sur l'horloge, intervient Beetee. Ça donne simplement une vague-idée de la direction. À moins de considérer qu'ils ont aussi fait pivoter le cercle extérieur de jungle.                                                                                                                                                               En fait, ce que Katniss insinuait était beaucoup plus simple que ça. La théorie de Beetee dépasse largement ma vision des choses. Mais je hoche la tête d'un air entendu.                                                    - Donc, n'importe lequel de ces rayons peut correspondre à 12 heures, dis-je.                                                Nous faisons le tour de la Corne d'abondance, en étudiant la jungle. Elle est d'une uniformité déconcertante. Je me souviens du grand arbre qui a reçu le premier éclair à minuit, mais chaque secteur en compte un similaire. Johanna voudrait se fier aux traces d'Enobaria et de Brutus, mais celles-ci ont été soufflées ou lavées par les eaux. Nous n'avons aucun moyen de déterminer où nous sommes.                                                                   —      Je n'aurais pas dû mentionner cette histoire d'horloge, dis-je d'un ton amer. Maintenant, nous avons perdu même cet avantage.                                                                               —         Ce n'est une temporaire, affirme Beetee. A 10 heures, la vague reviendra, et nous remettra sut les rails.                                                                                                                          —         Oui, ils ne peuvent pas redessiner toute l'arène, renchérit Peeta.                                               —      On s'en fiche, s'impatiente Johanna. Il fallait bien que tu nous expliques, sinon nous n'aurions jamais levé le camp, abrutie. (Ironiquement, sa réponse, logique bien que méprisante, me réconforte un peu.) Allez, j'ai besoin d'eau. Quelqu'un a une préférence ?

Nous choisissons un rayon au hasard et l'empruntons, sans savoir vers quelle heure nous nous dirigeons. En atteignant la jungle, nous scrutons les sous-bois en tâchant de deviner ce qui nous y attend.                                                                                                                 —         Ça devrait être l'heure des singes. Et je n'en vois aucun dans les parages, déclare Peeta. Je vais mettre un arbre en perce.                                                                                               —            Non, c'est mon tour, dit Finnick.                                                                                                   —   Très bien, je couvre tes arrières.                                                                                            —         Katniss peut s'en occuper, intervient Johanna. Il faut surtout que tu nous dessines une nouvelle carte. L'autre a été emportée par les eaux. Elle arrache une grande feuille plate à un arbre et la lui donne.                                                                                                                            Un bref instant, je les soupçonne de vouloir nous séparer pour nous tuer. Mais ça ne tient pas. J'aurai l'avantage sur Finnick s'il est en train de percer un trou dans un arbre, et Peeta est beaucoup plus fort que Johanna. Je suis donc Finnick sur une quinzaine de mètres à l'intérieur de la jungle, où il repère un arbre et commence à attaquer l'écorce à coups de couteau. En surveillant les environs, l'arc prêt, je n'arrive pas à me défaire de ce sentiment qu'il se produit quelque chose d'étrange autour de Peeta. Je me repasse mentalement tous les événements depuis le coup de gong, pour essayer de mettre le doigt sur ce qui me chiffonne. Finnick qui va chercher Peeta sur sa plaque métallique. Finnick qui ranime Peeta après que son cœur a cessé de battre. Mags qui se jette dans le brouillard mortel pour que Finnick puisse porter Peeta. La droguée du Six qui lui fait un rempart de son corps lors de l'attaque des singes. Le combat contre les carrières a été très bref, mais n'ai-je pas vu Finnick détourner l'épieu de Brutus qui visait Peeta, au risque de se prendre un couteau dans la cuisse ? Et maintenant, Johanna qui lui demande de dessiner une carte sur une feuille, se qui, comme par hasard, lui évite de s'exposer dans la jungle...                 Le tableau paraît clair. Pour des raisons incompréhensibles, certains s'appliquent à garder Peeta en vie, quitte à se sacrifier dans l'histoire. J'en reste abasourdie. Primo, c'est à moi de le défendure. Secundo, ça n'a aucun sens. Un seul d'entre nous va s'en sortir. Alors pourquoi ont-ils choisi de protéger Peeta ? Qu'a bien pu leur raconter Haymitch, qu'a-t-il négocie avec eux pour les convaincre de placer sa survie au-dessus de la leur ?                                                                                                                                                       Je sais pourquoi je tiens à sauver Peeta. Il est mon ami et c'est ma façon de défier le Capitole, de m'opposer à ses Jeux abominables. Sans cela, quelles raisons pourrais-je avoir de le choisir, lui, plutôt que moi ? Il est courageux, mais nous avons tous dû l'être pour survivre aux jeux. II y a une grande bonté en lui, c'est incontestable, mais quand même... Soudain, je sais ce que Peeta peut accomplir, lui mieux que n'importe lequel d'entre nous: se servir de mots. Il a balayé tous ses concurrents lors des deux interviews. Et c'est peut-être à ause de cette bienveillance qu’on sent chez lui qu'il a cette capacité de se mettre le public — non, le pays entier — dans la poche eu quelques phrases bien tournées.                                                                                                                                                            Je me rappelle avoir pensé que ce talent serait nécessaire au chef de notre révolution. Haymitch aurait-il réussi à persuader les autres que l'éloquence de Peeta aurait bien plus d'impact sur le Capitole que la force physique de n'importe lequel d'entre nous ? Je l'ignore. Ça me paraît tout de même exiger un sacrifice énorme de la part des autres tributs. De Johanna Mason, par exemple. Mais quelle autre explication peut-il y avoir à leur volonté commune de le préserver ?                                                                                                       — Alors, Katniss, ça vient, ce bec ? M’interpelle Finnick, me ramenant brutalement à la réalité.                                                                                                                                                           Je détache le tube de métal de ma ceinture et le lui tends.                                                                                                                      C'est à ce moment-là que j'entends le hurlement. À vous glacer le sang, tant il transpire la terreur et la souffrance. Et tellement familier. Je laisse tomber le bec, oublie où je me trouve et ce qui m'attend, pour ne plus songer qu'à la protéger. Je m'élance comme une furie en direction de ses cris, indifférente au danger, en arrachant les lianes et les feuilles sur mon passage, en fonçant à travers n'importe quel obstacle.                                                     Pour rejoindre ma petite sœur.

 

24

Ou est-elle ? Que sont-ils en train de lui faire ? »                                                                                               — Prim ! Prim !                                                                                                                                                     Un autre hurlement de souffrance me répond« Comment est-elle arrivée là ? Que vient-elle fabrique dans ces Jeux ? »                                                                                                          —         Prim !                                                                                                                                              Je me griffe le visage et les bras aux lianes, je me prends, les pieds dans des racines. Mais je me rapproche. Je suis tout près, à présent. La sueur qui dégouline le long de mon visage pique mes cicatrices. La respiration sifflante, je cherche mon souffle dans cet air moite dépourvu d'oxygène Prim lâche un cri tellement affreux, tellement déchirant que je ne veux même pas imaginer ce qui a pu le provoquer.                                                                       —         Prim !                                                                                                                                                           Je crève un dernier rideau de verdure et débouche dm une petite clairière. Le son se répète directement au dessus de moi. Au-dessus ? Je rejette la tête en arrière. L’aurait-on hissée dans un arbre ? Je scrute désespérément le feuillage, en vain.                                        —   Prim ? Dis-je sur un ton implorant.                                                                           Je ne parviens pas à la voir. Un nouveau hurlement s'élève, clair comme du cristal, et cette fois on ne peut pas se méprendre sut sa source. II son du bec d un petit oiseau noir à huppe perché sur une branche à plus de six mètres au-dessus de ma tête.

Un geai bavard.                                                                                                                                               C'est la première fois que j'en vois un - je les croyais disparus —, et je l'examine un instant en m'appuyant contre le tronc, la main sur mon point de côté. La mutation génétique, le précurseur, le père. Je lui superpose l'image mentale du geai moqueur, et oui, je peux voir comment le premier a pu engendrer l'autre. Il n'y a rien chez cet oiseau qui trahisse son origine artificielle. Rien, sinon les accents horriblement humains de la voix de Prim qui jaillissent de son bec. Je le fais taire d'une flèche dans la gorge. L'oiseau tombe sur le sol. Je lui tords le cou pour faire bonne mesure. Puis je récupère ma flèche, et je jette cette bestiole répugnante à travers la jungle. Aucune sensation de faim ne pourrait me convaincre de la manger.                                                                                                          « Ce n'était pas réel, me dis-je. De la même manière que les faux loups de l'année dernière n'étaient pas vraiment les tributs morts. C'est juste un mauvais tour de ces sadiques de Juges. »                                                                                                                                         Finnick fait irruption dans la clairière. Il me trouve en train d'essuyer ma flèche avec de la mousse.                                                                                                                                       —         Katniss ?                                                                                                                                                  —            Ça va. Je vais bien, dis-je, même si c'est un mensonge. J'ai cru entendre la voix de ma sœur, mais...                                                                                                                                                 Un cri strident m'interrompt. Ce n'est plus la voix de Prim ; on dirait celle d'une jeune femme. Je ne la reconnais pas. En revanche, son effet sur Finnick est immédiat. Son visage blêmit, et je peux voir ses pupilles se dilater de terreur.                                                                             —            Finnick, attends ! Lui dis-je en tendant le bras pour le rassurer. (Mais il s'élance déjà dans la jungle, à la recherche de la victime, comme je me suis élancée sans réfléchir à la recherche de Prim.) Finnick !                                                                                                                  Je sais qu'il ne va pas s'arrêter ni attendre que je lui fournisse une explication rationnelle. Alors, il ne me reste plus qu'à lui emboîter le pas. Il n'est pas difficile à suivre, malgré sa rapidité, car il laisse une piste très nette dans son sillage. Mais l'oiseau est à quelque six cents mètres de distance, plus haut sur la colline, et je suis à bout de souffle lorsque je le rattrape. Je le trouve en train de tourner en rond autour d'un arbre géant. Le tronc fait presque un mètre cinquante de diamètre et ses premières branches ne commencent pas à moins de sept mètres de hauteur. Les cris de la jeune femme parviennent du feuillage, mais le geai bavard reste invisible. Finnick hurle, lui aussi.                                                                                —        Annie ! Annie !                                                                                                                                                            Il est complètement paniqué, hermétique à mes arguments, si bien que je fais ce que j'aurais fait de toute-manière. Je grimpe à un arbre voisin, localise le geai bavard et l'abat d'une flèche. L'oiseau s'écrase aux pieds de Finnick. Celui-ci le ramasse, fait le lien dans son esprit, mais quand je me laisse glisser au sol pour le rejoindre il paraît plus désespéré que jamais.                                                                                                                                               —         Tout va bien, Finnick. C'est juste un geai bavard. Un sale tour qu'on nous joue, lui dis-je. Ça n'a rien de réel. Ce n'est pas... ton Annie.                                                                                         —           Non, ce n'est pas elle. Par contre c'était bien sa voix Les geais bavards sont de parfaits imitateurs. Mais pour les reproduire, il faut qu'ils les aient entendues crier, ces voix Katniss !                                                                                                                                                    Je me sens blêmir à mon tour.                                                                                                                                                 —         Oh, Finnick, tu ne crois quand même pas que.,,                                                                           —          Si. C'est exactement ce que je crois.                                                                                                    Je me représente Prim dans une pièce toute blanche, sanglée à une table pendant que des inconnus masqués en blouse lui arrachent ces hurlements. On est en train de la torturer, ou on l'a torturée, pour lui arracher ces cris. Mes genoux cèdent et je m'écroule par terre. Finnick s'efforce de me dire quelque chose que je n'entends pas. Ce que je finis par entendre, c'est un troisième oiseau quelque part sur ma gauche. Avec la voix de Gale cette fois-ci. Finnick me retient par le bras.                                                                                                                  —    Non. Ce n'est pas lui. (Il m'entraîne dans la pente, en direction de la plage.) Fichons le camp d'ici !                                                                                                                                               Mais la voix de Gale est empreinte d'une telle souffrance que je ne peux m'empêcher de me débattre pour tenter de le rejoindre                                                                                                         —        Ce n'est pas lui, Katniss ! C'est une saleté de mutation génétique ! me crie Finnick. Viens !                                                                                                                                                                       Il me tire derrière lui, en me portant à moitié, jusqu'à ce que je finisse par me raisonner. Ce n'est qu'un geai bavard. Courir derrière lui ne va pas aider Gale. Ce qui ne change rien au fait que c'est bien la voix de Gale, et que quelqu'un, quelque part, l’à forcé à émettre ces sons atroces.Je cesse pourtant de lutter contre Finnick, et, comme lors de la nuit du brouillard, je fuis ce que je ne peux pas combattre. Ce qui ne, peut que me faire du mal. Sauf que là, c'est mon cœur et non mon corps qui se désintègre. C'est sans doute une autre arme de l'horloge. Celle de 4 heures, j'imagine. Quand les aiguilles invisibles atteignent le quatre, les singes repartent à la niche et les geais bavards entrent en jeu. Finnick a raison : il ne nous reste plus qu'à ficher le camp d'ici. Même si rien de ce qu'Haymitch pourra nous envoyer au bout d'un parachute ne saura nous aider l'un ou l'autre à nous remettre des blessures infligées par ces oiseaux. En voyant Peeta et Johanna debout à l'orée de la forêt, j'éprouve un mélange de soulagement et de colère. Pourquoi Peeta n'a-t-il pas volé à mon secours ? Pourquoi ne sont-ils pas venus nous aider ? À présent encore, il reste à distance, les mains levées, les paumes vers nous, en remuant les lèvres en silence… Pourquoi ?

Le mur est si transparent que Finnick et moi nous jetons droit dessus avant de rebondir sur le sol de la jungle. J'ai de la chance, j'ai reçu l'impact du choc sur l'épaule, alors que Finnick se l'est pris en pleine face. Son nez saigne abondamment. Voilà pourquoi Peeta, Johanna et même Beetee, qui secoue tristement la tête derrière eux, ne nous ont pas secourus. Une barrière invisible bloque l'accès à la plage. Ce n'est pas un champ de force. On peut toucher sa surface lisse et dure sans problème. Mais ni le couteau de Peeta ni la hache de Johanna n'ont réussi à l'entamer. Je sais, sans avoir besoin de vérifier sur plus de quelque, mètres de chaque côté, qu'elle englobe la totalité du coin correspondant à la quatrième heure. Nous sommes faits comme des rats, piégés à l'intérieur jusqu'à la fin de l'heure. Peeta plaque ses mains contre la surface et je pose les miennes de l'autre côté, comme si je pouvais le sentir à travers la paroi. Je vois remuer sa bouche mais je m l'entends pas, je n'entends rien du tout en dehors de nom coin de jungle. J'essaie de lire sur ses lèvres, en vain. Je me contente donc de fixer son visage, en faisant de mon mieux pour garder mon sang-froid.                                                                                                                             Puis les oiseaux commencent à s'approcher. Un à un. À se percher dans les branches environnantes. Et un concert de hurlements soigneusement orchestrés s'élève de leurs becs. Finnick capitule tout de suite : il se roule en boule par terre, les deux mains sur les oreilles comme s'il cherchait à se broyer le crane .J’essaie de résister un moment, |e vide mon carquois de flèches sur ces maudits piafs. Mais chaque oiseau que j'abats est remplacé par un autre. En fin de compte, j'abandonne à mon tour et me recroqueville à côté de Finnick en tâchant d'occulter les voix déchirantes de Prim, de Gale, de ma mère, de Madge, de Rory, de Vick ou même de Posy, la pauvre petite Posy...

Je prends conscience que l'épreuve est terminée quand les mains de Peeta se posent sur moi, me soulèvent du sol et m'emportent hors de la jungle. Je garde les yeux fermés, les mains sur les oreilles, incapable de détendre mes muscles. Peeta me serre dans ses bras en me berçant de paroles apaisantes, en me balançant doucement. Un long moment s'écoule avant que je me décontracte. Et quand j'y réussis enfin, je commence à trembler.

—         Ce n'est rien, Katniss, me murmure-t-il.                                                                                   —            Tu-n'as pas entendu leurs voix.                                                                                                                —   J'ai entendu celle de Prim. Au tout début. Mais ce n'était pas elle. C'était un geai bavard.                                                                                                                                                               —         Si, c'était elle. Quelque part. Le geai bavard n'a fait qu'enregistrer sa voix.                                                       —         Ça, c'est ce qu'ils aimeraient te faire avaler, insiste-t-il. Comme l'année dernière, quand j'ai cru reconnaître les yeux de Glimmer sur cette mutation génétique. Sauf que ce n'étaient pas ses yeux. Pas plus qu'il ne s'agissait de la voix de Prim. Ou alors, sa voix récupérée dans une interview et déformée pour lui faire dire ce qu'ils voulaient.                                                        —    Non, ils l'ont torturée, dis-je. Elle est sans doute morte à l'heure qu'il est.                                —     Katniss, Prim n'est pas morte. Ils ne peuvent pas la tuer. Nous ne sommes pratiquement plus que huit. Et que se passe-t-il habituellement à ce moment-là ?                                    —         Sept d'entre nous vont mourir, dis-je d'un ton désespéré.                                                               —   Non, chez nous. Que se passe-t-il quand les huit derniers tributs atteignent la phase finale des Jeux ? (Il me relève le menton pour m'obliger à le regarder. À croiser son regard.) Qu'arrive-t-il à ce moment-là ?                                                                                                Sachant qu'il essaie de m'aider, je me force à réfléchir.                                                                            —    Quand il n'en reste plus que huit ? Dis-je. Ils passent dans les districts, interviewer les familles et les amis.                                                                                                                             —         Précisément, confirme Peeta. Les familles et les amis. Et comment feraient-ils s'ils avaient déjà tué tout le monde ?                                                                                                                    —    Ils ne pourraient pas ? Dis-je d'une voix mal assurée.                                                                                       —        Eh non. C'est pour ça que je sais que Prim est encore en vie. Tu peux être sûre que c'est la première à laquelle ils tendront le micro.                                                                                                             Je voudrais le croire. De tout mon être. Mais ces voix...                                                                      —            D'abord Prim. Et ensuite, ta mère. Ton cousin Gale. Puis Madge, continue Peeta. Ce n'était qu'un piège. Katniss. Un piège horrible. Mais dont nous sommes les seuls à pouvoir souffrir. C'est nous qui sommes dans l'arène. Pas nos proches.                                                                  —      Tu en es sûr ?                                                                                                                           —         J'en suis convaincu, déclare Peeta.J'hésite, sachant à quel point Peeta peut se montrer persuasif. Je me tourne vers Finnick et le découvre fascine par Peeta, buvant ses paroles.                                                                                                                                                               —         Et toi, Finnick ? Lui dis-je. Tu le crois aussi ?                                                                          —  Il a peut-être raison. Je n'en sais rien, répond il Est-ce que c'est possible, Beetee ? De prendre In voix de quelqu'un et de la manipuler pour...                                                                       —   Oh, oui. Ça n'a rien de sorcier, vous savez, nous assure Beetee. On apprend à faire ça à l'école.Bien sur que Peeta a raison, intervient froidement Johanna. Le pays entier adore la petite sœur de Katniss. S'ils la tuaient, ils se retrouveraient avec un soulèvement sur les bras. Et ils ne veulent pas de ça. (Elle rejette la tête en arrière et se met à crier à tue-tête.) Hein ? Une rébellion générale à travers tout le pays ! Pas vrai, que vous ne voulez pas de ça ?

J'en reste bouche bée. Personne n'a jamais osé tenir des propos pareils dans les Jeux. Bien sûr, ils vont effacer ce que vient de dire Johanna, couper ses paroles au montage. Mais moi, je l'ai entendue et ne pourrai plus jamais la regarder de la même manière. Elle ne décrochera peut-être pas la médaille de la gentillesse, mais elle est sacrément gonflée. Ou bien elle est folle. Elle ramasse une coquille-vide et se dirige vers la jungle.                                     —         Je vais chercher à boire, annonce-t-elle.Je la retiens par la main quand elle passe devant moi.                                                                                                                                               —         Ne va pas là-dedans. Les oiseaux...Je me souviens alors que les geais ont dû partir, mais ça ne fait rien. Je ne veux voir aucun de nous pénétra dans ce coin de forêt. Même pas elle.                                                                                                                                                       —         Ils ne peuvent rien contre moi. Je ne suis pas comme vous. Personne que j'aime ne m'attend chez moi, dit Johanna, en dégageant sa main d'une secousse impatiente.                                                                                       Quand elle me ramène la coquille remplie d'eau, je la remercie d'un simple hochement de tête, sachant qu'elle détesterait entendre le moindre accent de pitié dans ma voix.                                                                         Pendant que Johanna repart chercher de l'eau et récupérer mes flèches, Beetee joue avec son fil et Finnick va se baigner. J'aurais bien besoin de me laver, moi aussi, mais je reste dans les bras de Peeta, encore trop secouée pour bouger.                                                                 — Qui ont-ils utilisé pour effrayer Finnick ? s'enquiert Peeta.                                                             —  Une jeune femme du nom d'Annie, dis-je.                                                                                 —         Sans doute Annie Cresta.                                                                                                  —          Qui ça ?                                                                                                                                               —         Annie Cresta. Celle pour qui Mags s'est portée volontaire, m'explique Peeta. Elle a gagné il y a cinq ans, je crois.                                                                                                                Ce qui remonte à l'été de la mort de mon père, quand j'ai dû commencer à nourrir ma famille, me battre bec et ongles contre la faim.                                                                                          —         Je ne me souviens pas beaucoup de ces Jeux-là. C’était l'année du tremblement de terre ?                                                                                                                                                                       —         Oui. Annie est devenue folle en voyant son partenaire se faire décapiter. Elle a couru se cacher dans un coin. Un séisme a fait sauter un barrage et l'arène a été presque entièrement inondée. Elle a gagné parce qu'elle était la meilleure nageuse, raconte Peeta.                                        —     Est-ce que ça s'est arrangé, après ? Dans sa tête, je veux dire ?                                                             —      Aucune idée. Je ne me souviens pas de l'avoir jamais revue aux Jeux. Mais elle n'avait pas l'air vraiment bien pendant la Moisson, cette année.                                                                          « Ainsi donc, voilà le grand amour de Finnick, me dis je Non pas l'une de ses belles adoratrices du Capitole, mais une pauvre folle de son district. »                                                                       Un coup de canon nous ramène tous sur la plage. Un hovercraft apparaît au-dessus de la zone de 6 à 7 heure Nous observons la griffe descendre à cinq reprises poin récupérer les morceaux d'un corps déchiqueté. Impossibli de savoir de qui il s'agit. Quant à ce qui se produit à 6 heures, je préfère ne pas y penser.                                                                                                 Peeta dessine une nouvelle carte sur sa feuille, en ajoutant « GB » pour geais bavards dans le quatrième coin. Dans celui où nous avons vu ramasser le tribut en petits morceaux, il inscrit simplement « carnage ». Nous ssavons désormais à quoi nous attendre dans sept des douze heures. Et s'il faut retirer un point positif de l'attaque des geais bavards, c'est que nous savons désormais où nous situer sur l'horloge.                                                                   Finnick tisse un nouveau récipient à eau ainsi qu'un filet de pêche. Je pique une tête dans les vagues, puis m'enduis de pommade. Après quoi je m'assois au bord de l'eau et je me mets à vider les poissons attrapés par Finnick tout en contemplant le soleil descendre à l'horizon. La lune se lève déjà, plongeant l'arène dans un crépuscule étrange. Nous sommes sur le point d'entamer notre dîner de poisson cru quand l'hymne retentit. Et les visages défilent...                                                                                                                            Cashmere. Gloss. Wiress. Mags. La femme du district Cinq. La droguée qui s'est sacrifiée pour Peeta. Blight. L'homme du Dix.                                                                                                                Huit morts. Plus huit le premier soir. Les deux tiers d'entre nous, fauchés en un jour et demi. C'est sûrement un record.                                                                                                              —         Ils n'y vont pas de main morte, cette année, grommelle Johanna.                                                         —            Qui reste-t-il ? À part nous et le district Deux ? demande Finnick.                                                       —            Chaff, répond Peeta sans avoir à se creuser la cervelle.                                                                           Peut-être le gardait-il à l'esprit à cause d'Haymitch.Un parachute descend vers nous, porteur d'une pile depetits pains carrés.                                                                                                  —   Ceux-là viennent de chez vous, Beetee, pas vrai ? S’enquiert Peeta.                                            — Oui, du district Trois, confirme Beetee. Combien y en a-t-il ?                                                                                    Finnick les compte, en les retournant un à un avant de les aligner soigneusement. J'ignore ce qu'il a avec le pain, mais l'intérêt qu'il lui porte tourne à l'obsession.                                                                —Vingt-quatre, annonce-t-il.                                                                                                                 —         Deux douzaines tout rond, donc ? dit Beetee.                                                                                  —      Pas un de plus, pas un de moins, confirme Finnick. Comment va-t-on les partager ?                                                    —            Prenons-en trois chacun, ceux qui seront encore en vie au petit déjeuner n'auront qu'à se répartir le reste, suggère Johanna.                                                                                            Nous attendons que la vague géante ait balayé le secteur de 10 heures, que l'eau se soit retirée, puis descendons sur la plage pour dresser le camp. En théorie, nous devrions avoir douze heures de tranquillité devant nous. Des cliquètements inquiétants, sans doute produits par je ne sais quel insecte redoutable, nous parviennent du secteur de 12 heures. Mais leur source, quelle qu'elle soit, reste confinée dans la jungle. Nous évitons tout de même la portion de plage correspondante, au cas où les insectes n'attendraient que ça pour s'y ruer en masse.                                                                                                                                                 Je ne sais pas comment fait Johanna pour tenir encore debout. Elle n'a dormi qu'une heure depuis le début des Jeux. Peeta et moi nous portons volontaires pour prendre la première garde, parce que nous sommes les plus repose, et aussi parce que nous voulons un peu d'intimité. Les autres s'endorment aussitôt, quoique le sommeil de Finniick soit agité. De temps en temps, je l'entends murmura 1e nom d'Annie.                                                                    Peeta et moi nous asseyons sur le sable humide, tourné dans deux directions opposées, mon épaule et ma main droites pressées contre les siennes. Je surveille l’eau, lui, la jungle. C'est mieux ainsi ; je suis encore hantée par les voix des geais bavards, que, malheureusement, le crissement des insectes ne parvient pas à noyer. Au bout d'un moment, je pose ma tête contre son épaule. Sa main s'enfonce dans mes cheveux.                                                     —         Katniss, dit-il doucement, ça ne sert à rien de faire semblant d'ignorer ce que l'autre essaie de faire.                                                                                                                        J'imagine que non, en effet, mais ça ne sert à rien d'en discuter, non plus. Enfin, pour nous, en tout cas. Les spectateurs du Capitole sont probablement rivés à leur écran afin de ne pas perdre une miette de nos paroles.                                                                                                                     —         Je ne sais pas quel genre d'accord tu crois avoir conclu avec Haymitch, mais tu dois savoir qu'il m'a fait une promesse à moi aussi. (Bien sûr que je le sais. Il est convenu avec Peeta qu'ils me garderaient en vie afin d'endormir ses soupçons.) On peut donc considérer qu'il a menti à l'un d'entre nous.                                                                                                             Voilà qui retient mon attention. Un double accord, une double promesse, Haymitch étant le seul à savoir lequel est le bon. Je lève la tête et regarde Peeta dans les yeux.                                        —   Pourquoi me dire tout ça maintenant ?                                                                                               —          Pour que tu n'oublies pas que nos situations ne soin pas les mêmes. Si tu meurs, et que je m'en sorte, il n'y aura pas de vie pour moi au district Douze. Tu es toute ma vie, m'assure-t-il. Je ne pourrai jamais plus être heureux. (Je fais mine de protester, mais il pose un doigt sur mes lèvres.) Pour toi, c'est différent. Je ne dis pas que ce serait facile. Mais il y a d'autres personnes prêtes à remplir ta vie.                                                                                           Peeta soulève le disque d'or qu'il porte en médaillon autour du cou. Il l'élève dans la clarté lunaire afin de me montrer le geai moqueur. Puis son pouce presse un minuscule bouton qui m'avait échappé jusque-là, et le médaillon s'ouvre. Il n'est pas massif, contrairement à ce que je croyais, mais creux. Et il contient deux photos. Celle de droite montre ma mère et Prim, en train de rire. Et celle de gauche, Gale. Qui sourit.                                                                            Rien au monde n'aurait pu mieux me toucher que ces trois visages. Après ce que j'ai entendu cet après-midi... c'est l'arme parfaite.                                                                                        —   Ta famille a besoin de toi, Katniss, dit Peeta.                                                                                            Ma famille. Ma mère. Ma sœur. Et mon soi-disant cousin Gale. Mais, dans le discours de Peeta, il est clair que Gale fait partie de ma famille. Ou le fera un jour, si je m'en sors. Parce que je l'épouserai. Ainsi Peeta prétend m'offrir sa vie et Gale dans un seul et même paquet cadeau. Me faire savoir que je n'aurais jamais dû en douter. Tout, Peeta veut-que je lui prenne tout.Je m'attends à ce qu'il mentionne également le bébé, devant les caméras, mais il s'abstient. Je sais ainsi qu'il n'est pas en train de jouer la comédie pour lès Jeux. Que ses sentiments sont sincères.                                                                                                    —         Alors que personne n'a besoin de moi, dit-il.                                                                                       Il n'y a aucun auto-apitoiement là-dedans. C'est vrai que sa famille n'a pas besoin de lui. Elle le pleurera, bien sûr, ainsi qu'une poignée d'amis. Mais la vie continuera. Pour Haymitch également, grâce à l'alcool. La seule personne qui ne s'en remettra pas si Peeta meurt, c'est moi.                                                                                                                                   —         Si, moi, dis-je. J'ai besoin de toi.                                                                                                        Il paraît troublé, prend sa respiration comme pour se lancer dans un long discours. Ce n'est pas bon, pas bon du tout, car il va me parler de Prim, de ma mère, tout Gale se qui va encore m'embrouiller les idées. Alors, avant qu'il ne dise un mot de plus, je lui ferme les lèvres par un baiser.                                                                                                                                          Voilà que ça me reprend. Cette chose que j'ai déjà éprouvée une fois. L'an dernier, dans la grotte, quand j'essayais de convaincre Haymitch de nous envoyer à manger .J’ai embrassé Peeta un millier de fois au cours de tes jeux et par la suite. Mais un seul de ces baisers m’a profondement remuée. Un seul m’en a donne envie d'en avoir d'autres. Seulement, ma blessure à la tête s'était mise à saigner et m'avait obligée à m'allonger.                                                                 Cette fois-ci, rien ne vient nous interrompre. Et après quelques tentatives Peeta renonce à parler. Une sensation de chaleur me gagne, part de ma poitrine et se répand à travers mon corps, le long de mes bras, de mes jambes, dans tout mon être. Loin de me satisfaire, ce baiser accroît mon désir. Moi qui me croyais une experte en matière de faim, je découvre là un appétit d'un genre nouveau.

Le premier coup de tonnerre - celui de l'éclair qui frappe le grand arbre à minuit - nous ramène à la réalité. Il réveille également Finnick, qui se redresse brusquement avec un grand cri. Je vois ses doigts creuser dans le sable comme pour s'assurer qu'il est sorti de son cauchemar.                                                                                                                                          —         Je n’arrive plus à dormir, nous dit-il. Je vais remplacer l'un de vous deux. (C'est alors seulement qu'il remarque nos expressions, la manière dont nous sommes lovés dans les bras l'un de l'autre.) Ou peut-être les deux. Je peux monter la garde tout seul.                                                  Mais Peeta ne veut pas en entendre parler.                                                                                                            —       C'est trop dangereux, objecte-t-il. Je ne suis pas fatigué. Va te coucher, Katniss.Je ne proteste pas. J'ai besoin de sommeil si je veux être en état de le protéger. Je le laisse me raccompagner au milieu des autres. Il me passe son médaillon autour du cou, puis pose la main sur mon ventre.                                                                                                                 —    Tu seras une mère formidable, tu sais, me dit-il.Il m'embrasse une dernière fois puis retourne auprès de Finnick.                                                                                                              Sa référence au bébé m'indique que notre petit intermède privé est terminé. Qu'il a conscience que le public doit se demander pourquoi il n'a pas utilisé le meilleur argument de son arsenal. Que les sponsors doivent être caressés dans le sens du-poil. Mais, en m'étendant sur le sable, je me demande s'il n'y aurait pas davantage dans cette remarque. Une façon de me rappeler que je pourrais avoir des enfants avec Gale ? Si c'est ça, Peeta fait erreur. Parce que, d'une part, ça n'a jamais fait partie de mes projets. Et d'autre part, si l'un d'entre nous doit devenir parent, il est évident que c'est lui.                                                                           En sombrant dans le sommeil, j'essaie de m'imaginer un monde sans Jeux, sans Capitole. Un endroit pareil à la prairie de la berceuse que j'ai chantée pour Rue quand elle est morte. Où l'enfant de Peeta grandirait sain et sauf.

 

 

 

 

 

 

 

 

25

 

 

A mon réveil, j'éprouve une brève sensation de bonheur en pensant à Peeta. Bien sûr, le bonheur est une absurdité totale à ce stade : au train où vont les choses, je serai morte avant deux jours. Et seulement dans le meilleur des scénarios, si je parviens à éliminer la concurrence, et moi-même, pour faire couronner Peeta vainqueur des Jeux de l'Expiation. Malgré tout, cette sensation est si inattendue et si délicieuse que je m'y accroche, ne serait-ce que pour quelques instants, avant que la morsure du sable et du soleil sur ma peau à vif ne me ramène à la réalité.

Les autres sont déjà levés et regardent un parachute atterir. Je les rejoins à temps pour une nouvelle distribution de pains, identiques à ceux que nous avons reçus hier soir. Vingt-quatre petits pains du district Trois. Ça nous en fait trente-trois en tout. Chacun de nous en prend cinq, ce qui nous laisse une réserve de huit pains. Personne ne le dit, mais ils se diviseront à merveille après le prochain décès. En plein jour, les plaisanteries concernant ceux qui seront encore en vie pour les manger semblent avoir perdu tout leur sel. Combien de temps pouvons-nous respecter cette alliance ? Je ne crois pas qu'aucun de nous s'attendait à voir le nombre des tributs décroître aussi rapidement.                                                                                  Et si je me trompais à propos des autres et de Peeta ? S'ils n'avaient pas cherché à le protéger, si tout ça n'était qu'un enchaînement de coïncidences, ou une stratégie pour gagner notre confiance et faire de nous des proies faciles ? Et si, en réalité, je ne comprenais rien à ce qui se passe ? Non, ça, c'est une certitude. Je ne comprends rien à ce qui se passe. Ce qui signifie qu'il est grand temps de décamper, Peeta et moi.

Je m'assieds sur le sable avec Peeta pour manger mes petits pains. J'ignore pourquoi, mais j'ai un peu de mal à le regarder en face. Peut-être à cause de ces baisers d'hier soir, même-si le fait de l'embrasser n'a rien de nouveau en soi. Je ne suis même pas certaine qu'il ait ressenti la moindre différence. Peut-être est-ce parce qu'il nous reste peu de temps ; et aussi, parce que nous travaillons l'un contre l'autre en ce qui concerne le choix du vainqueur de ces Jeux. Après avoir mangé, je le prends par la main et l'entraîne dans l'eau.                                                                                                                                                               — Viens. Je vais t'apprendre à nager.                                                                                                                     J'ai besoin de lui parler en privé pour discuter d'une rupture de l'alliance. Ce sera un moment délicat, car dès que les autres auront réalisé ce qui se passe, nous deviendrons des cibles.                                                                                                                                                           Si je voulais vraiment lui apprendre à nager, je lui ferais ôter sa ceinture-bouée, mais quelle importance à présent. Je me contente de lui montrer les mouvements de base et le laisse s'entraîner dans l'eau à hauteur de la taille. An début, Johanna nous surveille du coin de l'œil, mais son intérêt s'émousse rapidement et elle s'allonge pour faire une sieste. Finnick s'occupe encore à tresser un nouveau filet et Beetee joue avec son fil. C'est le moment ou jamais,

Pendant que Peeta barbotait, j'ai fais une découverte. Les croûtes de mes cicatrices sont en liain de se détacher. En me frottant doucement le bras avec une poignée de sable, j'arrive à les enlever sans difficulté, dévoilant la peau neuve par-dessous. J'interromps l'entraînement de Peeta pour lui montrer comment se débarrasser de ces croûtes qui nous démangent et, pendant que nous nous frottons l'un l'autre, j'aborde la question de notre fuite.                                                                                                                                                  —         Écoute, on n'est plus que huit, dis-je en chuchotant, même si les autres sont trop loin pour nous entendre. Je crois qu'il est temps de fausser compagnie à nos alliés.                                               Peeta hoche la tête, et je vois qu'il réfléchit à ma proposition. Qu'il pèse le pour et le contre.                                                                                                                                                                    —         Je vais te dire, me souffle-t-il. Restons avec eux jusqu'à la mort de Brutus et d'Enobaria. Beetee est en train de leur préparer un petit piège de son invention. Ensuite, promis, op disparaît dans la nature.                                                                                                                             Je ne suis pas entièrement convaincue. Mais si nous partons maintenant, nous aurons deux groupes d'adversaires contre nous. Peut-être trois, car qui sait ce que nous réserve Chaff ? Sans compter les dangers de l'horloge. Par ailleurs, je dois songer à Beetee. Johanna ne l'a épargné que pour moi. On peut être certains qu'elle le tuera aussitôt après notre départ. Et puis, je me souviens : je ne peux pas protéger Beetee. Il ne peut y avoir qu'un seul vainqueur, et il faut que ce soit Peeta. Je dois l'accepter. Sa survie doit constituer mon seul souci.                                                                                                                     —           Très bien, dis-je. On reste jusqu'à la mort des carrières. Mais ensuite, au revoir tout le monde ! (Je me retourne pour faire signe à Finnick.) Hé, Finnick, viens voir un peu par ici ! On a trouvé le moyen que tu redeviennes un beau gosse !                                                                                Nous nous débarrassons de nos croûtes, en nous frottant le dos les uns les autres, et nous en sortons aussi roses que le ciel. Nous nous appliquons une dernière couche de pommade. En effet, la peau neuve semble un peu fragile pour être exposée au soleil. Le résultat paraît moins affreux sur une peau lisse et fera un bon camouflage dans la jungle.

Beetee nous appelle. Apparemment, ces heures passées à jouer avec son fil lui ont bel et bien permis d'élaborer un plan.                                                                                                                     — Je pense que nous sommes tous d'accord pour convenir que notre prochaine étape consiste à nous débarrasser de Brutus et d'Enobaria, déclare-t-il d'une voix douce. Je doute qu'ils nous attaquent de front, maintenant qu'ils sont en infériorité numérique. On pourrait essayer de retrouver leur piste, je suppose, mais ce serait à la fois dangereux et fatigant.

—         Vous croyez qu'ils ont compris le fonctionnement de l'horloge ? Dis-je.

—         Si ce n'est pas déjà fait, ils ne tarderont pas à le saisir. Peut-être pas de manière aussi précise que nous. Mais ils savent sûrement que certaines attaques ont lieu dans certaines zones, et qu'elles se répètent en boucle. Par ailleurs, ils ont forcément remarqué que notre dernier combat a été inierrompu par une intervention des Juges. Nous savons, que c'était une manière de nous désorienter, mais eux doivent se demander ce qui s'est passé, et ça aussi, ça peut les aider à réaliser que l'arène est une horloge, dit Beetee. Alors, à mon avis, le mieux serait de leur tendre un piège.                                                              —   Attendez, je vais réveiller Johanna, nous dit: Finnick. Elle serait furieuse si elle apprenait qu'on l'a tenue à l’écart d'une chose aussi importante.                                                                                    —  Oh non, je maugrée.Elle est toujours furieuse, de toute laçon.                                                                Mais je ne le retiens pas, je réagirai comme elle si on m'excluait d’un plan à ce stade.Une fois qu'elle nous a rejoints, Beetee nous fait reculer un peu de manière à pouvoir dessiner sur le sable. Il trace un disque grossier qu'il divise en douze coins. C'est l'arène, restituée non pas avec la précision artistique de Peeta mais plutôt avec la désinvolture d'un homme déterminé.                                                                                                                                                 —          Si vous étiez Brutus ou Enobaria, où vous sentiriez-vous le plus en sécurité ? demande Beetee.I                                                                                                                                                 l n'y a aucune condescendance dans sa voix, mais je ne peux m'empêcher de penser à un gentil professeur qui fait la leçon à ses élèves. C'est peut-être à cause de la différence d'âge, ou simplement parce que Beetee est mille fois plus intelligent que nous tous.                                            —    Là où nous sommes en ce moment, répond Peeta. Sur la plage. C'est l'endroit le moins dangereux.                                                                                                                                 —         Alors, pourquoi ne sont-ils pas sur la plage ?                                                                                            —            A cause de nous, répond Johanna avec impatience.                                                                         —            Exactement. Parce que nous occupons le terrain. Alors, où iriez-vous à leur place ?           Je songe à la jungle et à ses dangers mortels, à la plage occupée...

—         Moi, je me cacherais à la lisière de la jungle, dis-je. De façon à pouvoir m'échapper en cas d'attaque. Tout en gardant un œil sur nous.                                                                                          —      Pour pouvoir manger, aussi, ajoute Finnick. La jungle est pleine de créatures et de plantes étranges. Mais, en nous observant, tu saurais que les fruits de mer sont comestibles.                                                                                                                                   Beetee nous sourit comme si nous avions répondu à ses attentes.                                                                                —         Oui, très bien. Vous avez tout à fait raison. C'est pourquoi je vous propose de passer à l'action à 12 heures. Qu'arrive-t-il précisément à midi et à minuit ?                                             —   La foudre s'abat sur le grand arbre, dis-je.                                                                                      —       Oui. Alors, le plan, explique Beetee, c'est qu'entre midi et minuit nous attachions mon fil à cet arbre et le déroulions jusque dans l'eau salée, qui bien sûr est hautement conductrice. Quand l'éclair frappera, l'électricité voyagera à travers le fil et se répandra dans l'eau de mer mais aussi sur la plage, encore humide après le passage de la vague de 10 heures. Quiconque sera en contact avec l’une ou l'autre de ces surfaces à ce moment-là se retrouvera électrocuté.                                                                                                                                                                     Une longue pause s'ensuit, durant laquelle nous digérons le plan de Beetee. Il me paraît quelque peu fantaisiste, voire franchement irréalisable. Mais pourquoi ? J'ai tendu des milliers de collets. Au fond, celui-ci n'est qu'un collet plus grand avec une composante scientifique, non ? A-t-il une chance de fonctionner ? Comment le saurions-nous, nous qui sommes formés à la pêche, à l'exploitation forestière, à l'extraction du charbon ? Que connaissons-nous de la domestication des forces naturelles ?                                                                             Peeta se hasarde à poser une question.Votre fil est-il assez résistant pour conduire une décharge pareille, Beetee ? Il a l'air si fragile. Il ne risque pas de fondre ?                                                                       —          Oh, si,-bien sûr. Mais seulement après le passage du courant. Il agira comme une sorte de fusible géant, si lu veux. Sauf qu'il aura laissé passer la foudre, explique Beetee.            —         Comment peux-tu le savoir ? demande Johanna, perplexe.                                                                       —            Parce que c'est moi qui l'ai inventé, rétorque Beetee, légèrement surpris. Ce n'est pas un fil ordinaire. Pas plus que la foudre qu'on a ici, ou même l'arbre, tu connais les arbres mieux que nous, Johanna. Tu ne crois pas qu'il devrait être détruit depuis longtemps?                                                                                                                                                 —         Si, concède Johanna de mauvaise grâce.                                                                                        —           Ne vous en faites pas pour le fil, il fonctionnera exactement comme prévu, nous assure Beetee.                                                                                                                                             —         Et nous, où serons-nous pendant ce temps-là ? S’enquiert Finnick.                                                                     —         Suffisamment loin dans la jungle pour ne courir aucun risque, répond Beetee.                                                —         Les carrières ne risqueront rien non plus, à moins de se trouver très près de l'eau, fais-je observer.                                                                                                                                      —         C'est vrai.                                                                                                                                                      —            Par contre, les poissons seront tous cuits à point, plaisante Peeta.                                                                                —         Probablement un peu grillés, corrige Beetee. Il faudra sans doute tirer un trait sur cette source de nourriture. Mais tu en as trouvé d'autres dans la jungle, pas vrai, Katniss ?                  —       Oui Des noix et des rats, dis-je. Et puis, il y a toujours les sponsors.                                                                 —    Bon. Dans ce cas, ça ne devrait pas poser de problême, conclut Beetee. Mais comme nous sommes alliés et que ce projet va réclamer la participation de tout le monde, c'est à vous de décider si nous tentons le coup ou non.                                                                                       Nous sommes des élèves devant leur professeur. Incapables d'opposer un argument valable à sa théorie, hormis les craintes les plus élémentaires. Lesquelles, pour la plupart, n'ont rien à voir avec son plan. J'embrasse du regard les visages déconcertés qui m'entourent.                                                                                                                                             —         Pourquoi pas ? dis-je. Si ça rate, tant pis. Si ça marche, nous avons une bonne chance de les tuer. Et même si nous ne faisons qu'éliminer une source de nourriture, ce sera toujours ça de moins pour Brutus et Enobaria.                                                                                                  — Tentons le coup, déclare Peeta. Katniss a raison.                                                                         Finnick se tourne vers Johanna et hausse les sourcils. Il ne dira pas oui sans elle.                                —          Très bien, soupire-t-elle enfin. C'est toujours mieux que de les traquer à travers la jungle. Et ça m'étonnerait qu'ils devinent notre plan, vu que nous arrivons à peine à le comprendre nous-mêmes.

Beetee souhaite inspecter l'arbre à foudre avant de procéder à ses branchements. Si l'on en juge par le soleil, il doit être à peu près 9 heures du matin. Nous allons devoir bientôt quitter la plage, de toute manière. Nous levons donc le camp, longeons la plage jusqu'au secteur de la foudre, puis nous enfonçons dans la jungle. Comme Beetee est encore trop faible pour grimper la pente tout seul, Finnick et Peeta se relaient pour le porter. Je laisse Johanna prendre la tête. Pour remonter tout droit jusqu'à l'arbre, elle devrait s'en sortir. Par ailleurs, je peux faire beaucoup plus de dégâts avec un carquois rempli de flèches qu'elle avec ses deux haches. Il me paraît donc préférable de fermer la marche.

L'air épais, chaud et humide me pèse. Il ne nous a laissé aucun répit depuis le début des Jeux. Je voudrais bien qu'Haymitch cesse de nous envoyer ces pains du district Trois pour nous parachuter plutôt une autre miche du district Quatre, parce que j'ai sué à seaux ces deux derniers jours et que, malgré le poisson que j'ai mangé, mon corps réclame du sel. Je ne refuserais pas un peu de glace, non plus. Ou un grand verre d'eau froide. C'est déjà bien que les arbres nous fournissent de quoi boire, mais le liquide extrait a la même température que l'eau de mer et l'air, nous marinons tous dans notre jus                                                          .À l'approche de l'arbre, l'innick suggère de me laisser passer devant.                                                      —        Katniss entend le champ de force, explique-t il a Beetee et Johanna.                                                       —     Elle l'entend ? s'étonne Beetee.                                                                                                                                  —         Seulement avec l'oreille que le Capitole m'a réparée, dis-je.                                                                              Qui est-ce qui ne risque pas de tomber dans le panneau ? Beetee. Il se souvient certainement de m'avoir appris à reconnaître les champs de force, et leur bruit est sans doute indétectable de toute manière. Mais il accepte l'explication sans sourciller.                                                           —        Dans ce cas, qu'elle passe en tête, bien sûr, dit-il en s'arrêtant pour essuyer ses lunettes. Il ne faut pas plaisanter avec les champs de force.                                                  Impossible de rater l'arbre à foudre, qui se dresse loin au-dessus de tous les autres. Je trouve une grappe de noix et je fais patienter les autres pendant que je progresse lentement sur la pente, en jetant les noix devant moi. Je repère le champ de force presque aussitôt, avant même que ma première'fioix ne le touche, parce qu'il n'est plus qu'à une quinzaine de mètres. En scrutant les frondaisons, j'ai aperçu le carré flou en hauteur, sur ma droite. Je jette une noix devant moi et un grésillement me confirme que j'ai vu juste.